Une fois que la bourgeoisie et la paysannerie sont tombées dans le prolétariat et que le prolétariat devient la seule classe sociale, la dictature du prolétariat n’est donc plus nécessaire. La transformation sociale et psychologique de la société doit marquer la fin du système médian de la dictature
« Une fois que les différences de classes auront disparu au cours du développement et que toute la production sera concentrée entre les mains des individus associées, les pouvoir publics perdront leur caractère politique. Le pouvoir politique au sens propre est le pouvoir organisé d’une classe pour l’oppression d’une autre […] il abolie du même coup les conditions d’existence de l’opposition de classes. Des classes en général et par la suite sa propre domination de classe. A la vieille société bourgeoise avec ses classes et ses oppositions de classes se substitue une association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition du libre développent de tous. »
Manifeste du Parti Communiste, Paris GF Flammarion, 1998 p.101
Ici Marx nous montre la fin théorique de la dictature du prolétariat et le début de la société communiste. D’abord, cette fin est marquée par la disparition des différences de classes et par la concentration des moyens de production. Nous devons remarquer que Marx ne parle pas d’Etat mais d’individus associés. Chez Marx, l’Etat et plus profondément encore le caractère politique du pouvoir d’Etat, disparaît. Autrement dit, non seulement le concept même d’Etat disparaît mais aussi sa fonction dans le système communautaire. Il est remplacé par les individus associés. Avant de développer ce point, nous devons rappeler une dernière fois que les différences de classes disparaissent à travers la dictature du prolétariat. En effet, la classe bourgeoise se définit comme regroupant les individus qui possèdent les moyens de productions. Or ces moyens de production lui sont supprimés, la classe bourgeoise disparaît donc, par nature. Les bourgeois deviennent des prolétaires et il en va de même pour les petits bourgeois et les paysans. Quant à la classe moyenne, elle n’est rien d’autre que des prolétaires qui profitaient du système capitaliste. Ils tombent donc aussi dans le prolétariat. Il n’existe donc plus que les prolétaires. Grace à la dictature du prolétariat, les moyens de production sont concentrés entre les mains des prolétaires. Ils deviennent alors des sortes de petits bourgeois car ils possèdent en partie les moyens de production. Cependant ils doivent toujours travailler pour vivre et surtout pour développer leur condition de vie et celle de la société. En réalité, les différences de classes ont alors disparu. L’Etat est remplacé par les individus associés. Ces individus sont alors les hommes qui : « mettent sous leur contrôle toutes leurs propres conditions et celles de tous les membres de la société »1ou les « conditions correspondent au développement simultané des forces productives ». Or les forces productives désignent les hommes qui utilisent leurs forces de travail pour vivre et pour le développement technique de la communauté. Mais dans le communisme, les moyens de production sont détenus par les forces productives, c'est-à-dire que ce sont les travailleurs qui possèdent les entreprises. Ainsi, ces travailleurs peuvent ensemble choisir librement leurs conditions de travail, ainsi que le rendement et la distribution des objets. L’objectif n’est plus le profit d’un individu et la survie des autres mais le développement de tous les travailleurs regroupés autour d’un moyen de production. Ces travailleurs ne sont rien d’autre, dans ces conditions, que des individus associés. Cependant, Marx nous laisse ici un problème fondamental qui est la dimension quantitative de ces associations d’individus. En effet, si nous suivons les propos de Marx, nous devons l’interpréter comme désignant des associations limitées à la grandeur des moyens de production, c'est-à-dire à la grandeur d’une entreprise. Nous pouvons cependant supposer que ces individus se regroupent pour former des communautés autonomes, c'est-à-dire que les individus associés ont la dimension de ville. Effectivement, si l’association des individus correspond aux individus qui choisissent leurs propres conditions de production alors ces derniers sont limités quantitativement à ceux qui utilisent ces moyens de production, ceux qui n’y travaillent pas et qui ne font pas parti des forces productives de l’usine. Cependant, les travailleurs d’une usine ne peuvent pas vivre, d’une façon autonome, que de leur usine, il faut qu’ils aient des rapports avec les autres forces productives. Ils doivent se regrouper autour d’une ville. D’un autre côté, il semble impossible que l’ensemble des individus d’un pays se regroupent en association. Chaque individu ne peut plus avoir le propre contrôle de sa condition sans subir nécessairement celle des autres. En effet, il est impossible d’organiser un vote à dimension nationale pour chaque décision. Il faut alors élire des représentants qui décident de définir les conditions de l’ensemble des moyens de production et dans ce cas, les individus ne sont plus libres du développement de leur propre condition. Plus nous multiplions les instances de représentation et les décisions généralistes et moins le développement des conditions des individus est libre. En effet ce ne sont plus eux qui choisissent pour leur condition particulière mais des représentants qui décident pour des conditions générales. Marx, dans cette première conception de la dictature du prolétariat, n’aborde jamais le développement technique de ces associations d’individus, bien qu’il emploi le terme régulièrement. Cependant, comme nous allons le voir dans la seconde conception de la dictature du prolétariat, Marx envisage les associations d’individus à la dimension communale. Cependant il reste encore une fois le problème de la fédération des diverses associations par un pouvoir publique.
En effet, Marx affirme que les pouvoirs politiques disparaissent. Mais ceci n’est vrai qu’en théorie. Effectivement, la différence des classes a disparu grâce aux mesures prisent précédemment. Ce qui signifie, qu’en théorie, tous les hommes possèdent le même intérêt car ils partagent tous les mêmes conditions de vie. La politique regroupe tout ce qui touche l’ensemble de la communauté. Avant cela, la politique était nécessaire d’une part pour départager les différents intérêts des classes sociales et à savoir quelle classe sociale domine et d’autre part elle était utile pour organiser la domination de cette classe sur les autres. Avec la disparition des classes sociales et de la divergence des intérêts, la politique disparaît car il n’y a plus de nécessité de partager les différents intérêts. Le pouvoir politique disparaît donc naturellement car les différentes classes disparaissent. Inversement, le pouvoir politique est une condition d’existence pour qu’existes différentes classes car il est le lieu public où l’on peut confronter les différents points de vue. Mais ces points de vue sont nécessairement définis par les différences de conditions sociales. Donc le pouvoir politique est le lieu où l’on fait confronter les différentes classes. Sans possibilité de confrontation des différents intérêts de classes sociales, il ne peut exister différentes classes. Ces classes ne sont jamais envisagées par le pouvoir publique et ceci s’assemble à la mise en place de leur disparition physique via la dictature du prolétariat. La politique n’a alors pas et plus lieu d’être.
Ainsi chez Marx, l’Etat est remplacé par le pouvoir publique. Ce pouvoir est débarrassé par du caractère politique. Nous devons aussi remarquer que pour la dictature du prolétariat et aussi pour la société communiste qui suit, Marx ne parle plus de parti communiste mais d’individus associés. Il ne parle plus d’Etat mais de pouvoir public. Cette différence est fondamentale par rapport à tous les exemples historiques qui ont suivi la philosophie de Marx et ceci dés l’expérience de Lénine. Pour Lénine, chaque pouvoir public doit, au contraire, s’appuyer sur un parti politique fort et unique, nous allons voir ce point dans la conclusion. Marx envisage la fin de toute dimension politique dés la fin de la dictature du prolétariat et d’ailleurs, il ne parle jamais du parti communiste dans tout ce qui concerne cette période du communisme. Le pouvoir politique de la dictature du prolétariat abolie dans un premier temps les différentes classes en organisant les différentes mesures que nous avons vues. L’objectif est alors de faire tomber toutes les classes dans le prolétariat. La classe la plus délicate à faire tomber dans le prolétariat semble être la paysannerie car non seulement elle est la classe sociale la plus nombreuse et donc la plus susceptible d’organiser une contre révolution, mais aussi car elle est la classe qui partage les intérêts de la bourgeoisie, c'est-à-dire la possession de propriété privée. Cependant, de la même manière que le prolétariat, elle est plongée dans la misère. En ce sens, elle peut devenir le bras armé de la bourgeoisie car elle est la seule classe qui peut affronter, d’un point de vue quantitatif, le prolétariat. Aussi, bien que la dictature du prolétariat fasse tomber le règne de la bourgeoisie, elle se confronte aussi, et ceci d’une manière encore plus despotique, à la paysannerie. Pendant la dictature du prolétariat, le pouvoir public élimine donc toutes les classes sociales et ensuite il élimine son propre pouvoir politique. C’est lorsqu’il n’y a plus de classe à transformer, qu’il n’y a plus de politique et donc qu’il n’y a plus de dictature du prolétariat.
« Dans la société communiste, où chacun, au lieu d'avoir une sphère d'activités exclusive peut se former dans la branche qui lui plaît ; c'est la société qui dirige la production générale qui me permet de faire aujourd'hui ceci, demain cela, de chasser le matin, d'aller à la pêche l'après-midi, de faire l'élevage le soir et de critiquer après le repas, selon mon bon plaisir, sans jamais devenir chasseur, pêcheur ou critique. »
L’Idéologie Allemande, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1982
Ainsi la communauté, c'est-à-dire l’ensemble des individus, décide ce qu’il y a comme travail nécessaire pour le bien de la société. Il suffit alors à la communauté de comprendre les manques et de les combler, le reste est alors du travail libre. En effet, à la manière des travaux d’intérêts généraux, certains travaux sont obligatoires car nécessaires pour le bien être de la communauté. Ces travaux sont alors dirigés par la société car ils sont vitaux pour l’ensemble de la communauté. A partir de ceci, les individus choisissent alors dans quel domaine ils veulent évoluer. Dans cette perspective, le travail est alors libre. Chacun n’est plus tenu de faire n’importe quel travail pour survivre, comme dans le capitalisme. Le travail reste cependant tout même obligatoire car il en va de la survie de la communauté mais il n’est plus borné. Ainsi nous pouvons affirmer que, dans le communisme, c’est bien le développement libre des individus qui définit le libre développement de la communauté. Bien entendu le degré de développement d’une spécification dans un domaine ne peut pas être aussi évolué que dans une société capitaliste car il faut parfois nécessairement une longue formation et beaucoup d’heures de travail pour arriver à un certain savoir faire. Ainsi nous comprenons bien comment un boulanger, un boucher ou un ouvrier à l’usine, par exemple, peut se remplacer régulièrement et encore ceci demande nécessairement de la pratique. Mais ceci est encore plus problématique pour un chercheur, un médecin, un ingénieur ou un chimiste. Bien entendu, il ne faut pas oublier que Marx écrit vers les années 1850 et donc le degré de spécification de son époque était beaucoup moindre que celui du notre. La majorité des progrès de notre époque ont pu être acquis grâce à cette spécification. Par exemple, c’est parce que les chercheurs ont abouti dans leur domaine qu’ils ont pu découvrir l’ADN et tout ce qui en découle (entre autre). Ceci est particulièrement vrai pour les domaines scientifiques, mais aussi dans l’aéronautique, mécanique ou encore informatique pour ne citer qu’eux. De nos jours nous ne pouvons plus remplacer un informaticien par un médecin et inversement. Ainsi il semble que nous frôlons alors ici avec l’utopie pour le transposer à notre époque. Quelque chose de nouveau est à inventer ou alors nous devons renoncer aux diverses évolutions scientifiques, mais ceci ne semble pas envisageable. Cependant nous devons noter que le sujet de l’après dictature du prolétariat est de loin le moins envisagé par Marx, surtout d’un point de vue pratique.
1 Idéologie Allemande, Communisme, production d’échanges lui-même, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1982
Marx a écrit, dans le N° 3 de la Neue Rheinische Zeitung du 4 juillet 18501 que la dictature du prolétariat devait agir comme point de transition « vers l’abolition de toutes les relations qui correspondent à ces rapports de production » et « vers le bouleversement de toutes les idées qui naissent de ces relations sociales ». Aussi, pour comprendre ces déclarations, nous devons citer ce passage de l’Idéologie Allemande :
« Etant donné qu’à chaque stade, ces conditions correspondent au développement simultané des forces productives, leur histoire est du même coup l’histoire des forces productives qui se développent et sont reprises par chaque génération nouvelle et elle est de ce fait l’histoire du développement des forces des individus eux-mêmes. »
D’abord, les conditions ici employées par Marx correspondent aux conditions des individus. Ces conditions évoluent en même temps que se transforment les forces productives. En effet, les forces productives évoluent en même temps qu’évoluent les moyens de production. Chaque bourgeois qui possède un moyen de production détermine, par le calcul des gains financiers, non seulement le nombre de ses ouvriers qu’il emploie et donc qui vont survivre, mais aussi les conditions dans lesquelles vont vivre ces ouvriers (par la détermination du salaire et des conditions de travail). Ainsi les moyens de production font varier la masse et les conditions de vie des forces productives. Ces conditions de vie sont alors les conditions des individus eux-mêmes car c’est par le travail que les prolétaires survivent. Mais moins il y a de travail, plus il y a de prolétaires dans la misère, c'est-à-dire plus il y a du sous-prolétariat. La misère produit alors de l’insécurité car ce sous prolétariat ne peut pas se laisser mourir, il vole (entre autre) alors pour survivre. De plus, la misère est accompagnée de son lot de déchéance, à savoir l’alcoolisme et la violence. Ces conditions de vie influencent alors nécessairement la vie de l’ensemble de la communauté. De même, du coté de la bourgeoisie, les conditions d’exploitation des ouvriers déterminent le gain final des bourgeois. Ainsi les moyens de production influencent l’ensemble des forces productives et ces forces déterminent les conditions de vie de la société. De cette manière nous pouvons affirmer que l’histoire des forces productives est l’histoire des individus eux-mêmes.
Ensuite, les conditions des individus se transmettent de génération en génération car, surtout à l’époque de Marx, avec le travail des enfants, les fils d’ouvriers finissement toujours ouvriers et les fils de bourgeois héritent des ressources paternelles. Ainsi le développement des forces productives détermine les générations suivantes car rien n’est mis en œuvre pour que les individus puissent changer de classe. Le développement des forces productives détermine donc l’Histoire avec un grand H car les conditions des individus se définissent en fonction des moyens de production et elles se transmettent de générations en générations. (C’est aussi ce qui permet à Marx d’affirmer que l’Histoire est l’histoire de la lutte des classes).
Enfin, selon ce principe, la dictature du prolétariat est « l’abolition des relations qui correspondent à ces rapports de production ». Ces rapports de production définissent la relation, par la médiation du travail, entre les bourgeois et les prolétaires, entre les moyens de production et les forces productives. Ces rapports sont abolis par l’interdiction de la privatisation des moyens de production et donc par la disparition de la bourgeoisie. Les relations qui en découlent sont donc obsolètes. La dictature du prolétariat doit permettre l’abolition des conditions qui faisaient l’Histoire. Maintenant c’est l’ensemble des individus eux-mêmes qui ont la possession des moyens de production et donc de leur Histoire. De plus la dictature du prolétariat vise une transition vers « le bouleversement de toutes les idées qui naissent de ces relations sociales » et ceci en visant la suppression de ce type de relation. Elle se dirige donc vers l’abolition du système capitaliste et de tout système de domination en règle générale. Les conditions de vie des individus changent alors nécessairement et naît alors de nouvelles conditions avec de nouvelles idées. Les anciennes idées sont devenues obsolètes de la même manière que le sont les idées monarchiques pour notre république actuelle. Les conditions de la vie conditionnent les individus et leurs idées car le fondement et la possibilité de ces idées en sont éliminés par ces conditions de vie.
« Il s’agit en effet d’abolir la personnalité, l’indépendance et la liberté bourgeoise. Par liberté, on entend, dans le cadre actuel rapports de la production bourgeoise, la liberté du commerce, la liberté d’acheter et de vendre. »
Manifeste du Parti Communiste, Paris GF Flammarion, 1998 p.94
Dans un premier temps, pour transformer la perception de la vie des hommes, il s’agit de supprimer la perception typiquement bourgeoise, c'est-à-dire la personnalité et l’indépendance bourgeoise. La personnalité est la fonction par laquelle une société, une classe sociale ou un individu se saisit comme sujet unique. Cette personnalité se manifeste alors par un certain style de vie. La personnalité bourgeoise est directement issue de sa position sociale. C'est-à-dire qu’elle se manifeste par les avantages que procurent la possession des moyens de production et par la supériorité sur la classe du prolétariat. La personnalité bourgeoise désigne donc toute attitude qui vise de prés ou de loin à affirmer la nécessité de la domination d’un ou plusieurs hommes sur les autres, mais aussi par l’affirmation de la nécessité de la propriété privée. La personnalité bourgeoise se manifeste donc dans un style de vie bourgeois qui passe par la médiation du pouvoir que lui confère son statut de chef d’entreprise. Ceci que ce soit aussi bien d’un point de vue financier que par la domination physique sur les ouvriers. La suppression de cette personnalité passe autrement dit par la suppression de la propriété privée et par la suppression de toutes formes de domination salariale. Cependant, le communisme ne vise pas à abolir les formes de domination naturelle comme celle issue du physique ou de l’intellect. L’indépendance de la bourgeoisie est aussi conférée par le pouvoir de l’argent acquis par l’exploitation des moyens de production. Le bourgeois, en règle générale, semble autonome, c'est-à-dire qu’il est régie selon ses propres lois, car non seulement c’est sa classe sociale qui fixe les règles de la société, mais aussi car l’argent qu’il gagne lui permet d’être indépendant (à la différence des prolétaires qui sont dépendants de leur travail). Cependant l’indépendance bourgeoise est illusoire car le bourgeois est dépendant de son moyen de production et surtout des forces productives qui le font fonctionner. Comme nous l’avons vu, le bourgeois est moins dépendant des prolétaires que les travailleurs le sont des bourgeois, mais il n’est pas pour autant indépendant. Cette situation crée alors une illusion d’indépendance. La véritable indépendance dans une société n’est pas dans la domination des uns sur les autres et elle donne une fausse idée de l’indépendance, mais au contraire elle résulte dans la coopération et l’interdépendance des membres de la société. Ce n’est seulement s’il n’y a pas de conflit d’intérêt et de domination entre deux classes que tous les membres de la société peuvent fixer les lois qu’ils veulent suivre et ainsi être autonomes. L’indépendance bourgeoise se supprime seulement par l’élimination de la relation de supériorité de la bourgeoisie sur le prolétariat qui passe par la médiation des moyens de production.
Dans un second temps, une transformation psychologique passe par la suppression de la liberté bourgeoise, c'est-à-dire la liberté du commerce, de vendre et d’acheter. Cette liberté est directement attachée au droit de propriété privée. Car nous pouvons acheter et vendre seulement les biens que nous possédons. De plus ce système commercial est basé sur la possibilité de cumuler des biens sous forme de capital. C’est ce type de système qui doit être remis en cause dans la dictature du prolétariat. La différence entre les classes passe directement par le nombre quantitatif de capital possédé ainsi que par sa nature. Seule la bourgeoisie peut profiter de la liberté de commerce, c’est elle qui possède un capital et surtout, par l’intermédiaire des moyens de production, ce n’est que la bourgeoisie qui produit et vend. Ceci est particulièrement vrai au temps de Marx. De nos jours, par le biais de sites internet, par exemple, n’importe qui peut faire du commerce. Ainsi il faut bien comprendre que ce qui paraît totalitaire pour notre époque ne concerne, pour l’époque de Marx, qui la classe bourgeois. L’objectif communiste étant de mettre en commun les moyens de production, la liberté privée du commerce est dénuée de sens. Il n’y a jamais qu’une seule personne qui possède un bien et donc il ne peut pas vendre ou acheter un bien qui ne lui appartient pas. Cette phrase de Marx ne signifie pas qu’il n’y aura plus de marchants et de commerçants, mais qu’il n’y aura pas de marchants et commerçants privés, les profits de ces entreprises iront au bénéfice de la communauté. Le principe de possession est remis en cause par le communisme. Or ce principe de liberté de commerce est basé sur la possession privée des biens, donc le communisme abolie cette liberté. La possession et la vente ou achat de biens est réservé à une classe privilégiée : la bourgeoisie. La dictature du prolétariat vise à éliminer la différence des classes et donc elle doit abolir cette liberté exclusive. Marx lance cette idée dans Le Manifeste du Parti Communiste sans pour autant évoquer d’une part les conséquences de cette action et d’autre part le système qui le remplacera. Ainsi nous pouvons aussi bien imaginer un monopole du commerce par l’Etat où chaque homme deviendra salarié. Mais comme nous allons le voir prochainement, l’Etat est amené à disparaître avec la fin de la dictature du prolétariat. Aussi nous pouvons imager un système de troc comme certains communistes l’ont imaginé. Mais cette partie du communisme est totalement à inventer car Marx ne l’a jamais développée. Les pays qui se sont réclamés du communisme se sont tous transformé en capitalisme d’Etat, c'est-à-dire en un monopole exclusif de l’Etat où les bénéfices engendrés passaient par l’Etat pour être, en théorie, redistribué à la population. En ce sens, ils n’ont jamais dépassé la dictature du prolétariat. Nous allons voir ce point prochainement, mais avant cela nous allons voir les mesures concrètes que Marx veut mettre en place pour transformer psychologiquement la société.
« 7. Multiplication des usines nationales, des instruments de production, défrichement et amélioration des terres selon un plan commun.
8. Obligation de travail égale pour tous, constitution d’armées industrielles, en particulier pour l’agriculture.
9. Union entre le travail agricole et le travail industriel, mesure visant à faire disparaître peu à peu l’opposition de la ville et de la campagne. »
Manifeste du Parti Communiste, Paris GF Flammarion, 1998 p.100-101
Cette septième mesure vise l’augmentation de la masse des forces productives, en d’autres termes, l’augmentation du prolétariat. Ainsi, les communistes nationalisent les usines afin que les prolétaires en prennent le contrôle et que la bourgeoisie n’exerce plus de pouvoir de domination sur les prolétaires. Les bourgeois tombent ainsi dans le prolétariat. De plus, comme je l’ai déjà dit, le profit n’étant plus l’objectif, le nombre d’ouvriers grandi aussi. La multiplication des instruments de production entraîne alors nécessairement une augmentation du nombre de prolétaires (afin de faire fonctionner ces nouveaux instruments de production). Ces derniers viennent alors soit du sous prolétariat, soit de la paysannerie. L’objectif est alors de réduire l’écart entre la campagne et la ville. Ainsi, seule la pensée issue du prolétariat peut survivre car tous les hommes partagent les mêmes conditions de vie. Ainsi, dans ce même objectif, le défrichement et l’amélioration des terres visent aussi à réduire l’écart entre la campagne et la ville. Marx veut ainsi faire tomber les paysans dans le prolétariat. En effet le défrichement est le fait de rendre apte à la culture une terre. Mais pour défricher les terres, selon un plan commun, il faut que toutes les terres soient mises en commun. Autrement dit, que les paysans ne soient plus propriétaires de leurs terres. Ils seront alors salariés sur les terres de la communauté. Ils seront donc des prolétaires. Rejoindre la masse des forces productives devient alors la seule possibilité sociale.
La huitième réforme vise toujours la mise en commun d’une vision de l’existence, c'est-à-dire le partage d’une même idéologie. Pour ce faire, Marx cherche l’uniformité des conditions de vie. Ainsi le travail égal et obligatoire pour tous vise la rentrée dans le prolétariat de la bourgeoisie et des sous prolétaires. Les premiers ne faisaient que fructifier leurs moyens de production pour vivre. Sans ces moyens ils doivent nécessairement travailler pour vivre. Les seconds, qui ne trouvaient pas de travail, en ont désormais car l’Etat se doit d’être en mesure de leur en fournir, quitte à diminuer le temps de travail général. Ceux qui ne veulent pas travailler n’ont plus d’excuses pour ne pas participer à la vie de la communauté. Ainsi, il est possible de construire des « armées industrielles ». Ces armées désignent la masse salariat du pays. La constitution d’armées industrielles pour l’agriculture n’est rien d’autre que la transformation de la paysannerie en prolétariat. L’objectif est aussi de faire face à la famine en cas de guerre avec les pays voisins ou de révolte de la paysannerie. Il y aura ainsi des hommes pour faire fonctionner l’agriculture. La neuvième mesure apparaît alors comme la synthèse des deux précédentes mesures. De nos jours ces objectifs sont dépassés. Les agriculteurs représentent moins de 5% de la population active. Les armées industrielles ne sont plus nécessaires car le sous prolétariat ou en termes plus contemporains les chômeurs et demandeurs d’emploi regroupent plus de 10% de la population active. Ces mesures sont donc particulières à l’époque de Marx.
Ces trois points sont rangés dans les bouleversements psychologiques car nous pouvons voir que Marx, en bon matérialiste, provoque ces bouleversements directement par une transformation physique et sociale de la société. Il n’y a pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser une manipulation psychologique à grande échelle par le biais de propagande intensive. Au contraire, c’est la transformation sociale qui doit transpirer sur le psychologisme du peuple et donc transformer les mentalités de façon naturelle et progressive. Les conditions de vie, dont sont issues les perceptions différentes de la vie des hommes, se transforment alors et le psychologisme des hommes change également. De plus ces conditions se transmettent de génération en génération. La mentalité bourgeoise et paysanne disparait au fur et à mesure que les anciens bourgeois et paysans disparaissent. Une nouvelle perception de la vie apparaît avec la nouvelle société et au fur et à mesure que les anciennes générations sont éliminé ainsi que les vestiges de l’ancienne société. Il s’agit donc de faire disparaître, comme l’indique Marx, « peu à peu » les différences sociales. Ces mesures ne visent pas une transformation sociale car le travail en soit de la paysannerie reste sensiblement le même. L’objectif est de les rapprocher des prolétaires afin de créer une seule et même communauté, une sorte d’unité nationale afin d’empêcher une confrontation ville-campagne. Ainsi le bouleversement vise plus les mentalités et les idées de la paysannerie que le travail en et pour soi.
1 Fin de la ligue des communiste, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1994 p.567
Marx déclare que la dictature du prolétariat doit se diriger « vers l’abolition des différences de classes tout court » et « vers l’abolition de tous les rapports de production sur lesquels elles reposent ». 1 La Dictature du prolétariat vise donc la disparition des différences de classes pour éliminer le système capitaliste qui repose sur ces différences. En effet, comme nous l’avons vu, ce système vise la progression de la classe dirigeante, c'est-à-dire de la classe bourgeoise. Cette classe se définit par la possession des moyens de production et c’est par l’exploitation de ces moyens qu’elle obtient leurs richesses. Aussi dans ce système, la classe des prolétaires joue le rôle de faire fonctionner et proliférer ces moyens de production. Les classes sociales sont alors les clés même du système capitaliste. En effet, sans domination et par une exploitation d’une classe autre, il ne peut y avoir d’économie capitaliste. Autrement dit les différences de classes reposent sur une différence de relation par rapport aux moyens de production. La dictature du prolétariat élimine alors le capitalisme en supprimant les différences de classes et elle élimine ces différences en supprimant la privatisation des moyens de production. Autrement dit, s’il n’existe plus d’individus qui possèdent d’industrie ou d’entreprise alors il n’y a plus de différence entre les classes car il n’y a plus de bourgeoisie. Il apparaît alors ici une transformation de l’ordre sociologique car l’organisation entre les hommes dans la société est bouleversée. D’abord, il n’y a plus une ou plusieurs personnes qui profitent du travail des autres, c'est-à-dire qu’une personne ne profite plus des gains d’une entreprise mais l’ensemble de hommes qui y travails. Ensuite, il n’y a plus de conflit ou de relation de domination entre des individus appartenant aux classes opposé. Il n’y a plus de conflit sur le salaire ou sur les conditions de travail, par exemple, car il n’y a plus de nécessité de rendement à tout prix et au mépris des travailleurs. Autrement dit, la lutte des classes disparaît. Enfin il n’existe plus d’hommes qui gagnent et possèdent beaucoup tandis que d’autres sont contraints à la misère, car les moyens et les gains de la production ne sont plus réservés à une classe. Cependant les bouleversements sociologiques n’aboutissent pas directement à ceci. Ceci n’est que le but ultime de la dictature du prolétariat dans ce type de transformation spécifique.
« Le premier pas des ouvriers dans la révolution, c’est le prolétariat s’érigeant en classe dominante, la conquête de la démocratie. Le prolétariat utilisera sa domination politique pour arracher peu à peu à la bourgeoisie tout capital, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’état, c'est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante et pour accroître le plus vite possible la masse des forces de production. »
Manifeste du parti communiste, Paris GF Flammarion, 1998, p.100
Dans un premier temps, les premières actions pour atteindre la transformation sociologique résultent dans l’organisation démocratique du prolétariat, puis par son organisation en tant que classe dominante. Nous allons voir cette organisation prochainement. La démocratie est, par définition, la souveraineté d’un pays qui appartient au peuple. C'est-à-dire que c’est l’ensemble de la population qui possède l’autorité suprême dans la politique et que cette population n’est soumise à aucune classe sociale et aucune instance. Dans la démocratie occidentale de notre époque, elle résulte par l’affrontement électoral de parti politique qui représente les intérêts d’une classe sociale. Il y a ainsi le parti libéral, nationaliste, socialiste et enfin communiste. La démocratie au sein du prolétariat est clairement différente de ce genre de pratique démocratique. En effet, toutes les décisions qui sont soumises au vote des prolétaires sont toujours dans l’intérêt de l’ensemble des prolétaires. Les différents choix sont alors de l’ordre de l’organisation interne du prolétariat et pour d’éventuelles actions futures. Cette conquête de la démocratie ne revient à rien d’autre que l’établissement du prolétariat en classe dominante. En effet, le prolétariat est clairement la classe la plus nombreuse car il y a besoin de beaucoup plus de mains d’œuvre que de chef d’établissement. Ainsi le rapport quantitatif de la relation bourgeois-ouvrier est de l’ordre du un pour cent, voir même un pour mille. Le peuple est donc plus prolétarien que bourgeois. Or le capitalisme politique est la représentation de l’intérêt de ceux qui possèdent des capitaux, c'est-à-dire d’un pour cent ou d’un pour mille de la population globale. Or la population est, par définition, l’ensemble des habitants d’un espace défini. Mais si une minorité se distingue de la majorité alors nous désignons par le terme population, l’immense majorité de l’ensemble des individus. Cependant, il est difficilement quantifiable de dire à quel moment un groupe d’individus devient la population. Les paysans sont plus nombreux que les prolétaires (à cette époque) et en ce sens, ils font aussi partie de la population. Mais le capitalisme n’est pas démocratique car la souveraineté appartient à une minorité. La conquête de la démocratie par le prolétariat est donc le moment historique où la majorité de la population fonde sa domination. Si la bourgeoisie impose sa domination sur le prolétariat alors la population n’a pas la souveraineté. Pour obtenir une démocratie, il faut que ce soit l’intérêt des prolétaires qui soit représenté. La conquête de la démocratie par les prolétaires est donc non seulement interne à l’organisation des prolétaires, mais elle est aussi externe en désignant sa prise de pouvoir et sa domination. Cette domination démocratique est l’aboutissement de la révolution. La dictature du prolétariat est, en ce sens, la démocratie véritable car c’est le peuple qui domine et dirige.
Dans un second temps, grâce à cette domination politique, le prolétariat impose ses changements économiques qui sont le résultat logique de la transformation sociale. En effet, c’est parce que les prolétaires ont fait la révolution et donc acquis le pouvoir démocratique, c'est-à-dire c’est parce qu’il y a une transformation sociale, qu’il y a maintenant un bouleversement économique qui est, non seulement, la suite logique de la transformation sociale, mais qui sert aussi à assoir cette dernière. En effet, ayant acquis le pouvoir, le prolétariat arrache « à la bourgeoisie tout capital ». Le capital de la bourgeoisie n’est alors rien d’autre que les moyens de production de l’ensemble de l’Etat. La domination de la classe bourgeoise sur la classe du prolétariat passe essentiellement par la médiation de ces moyens de production. La bourgeoisie profite des gains de ces moyens tandis que les prolétaires ne sont qu’un instrument des moyens de production. La privation des moyens de production aux mains de la bourgeoisie marque la fin de la domination bourgeoise. De plus, comme nous l’avons vu, la bourgeoisie tombe dans le prolétariat. Cependant cette transformation économique doit se faire peu à peu. Effectivement nous devons nous rappeler que le début de la révolution est marqué par une alliance avec la petite bourgeoisie. Dans un premier temps, il s’agit donc d’éliminer la grande bourgeoisie pour acquérir le pouvoir, mais aussi pour obtenir les moyens financiers de cette bourgeoisie et pour produire des forces productives. Cependant, il ne faut pas s’attaquer et s’attirer les représailles de la petite bourgeoisie tant que le prolétariat n’est pas prêt à y faire face. Ainsi Marx indique clairement cet objectif par l’emploie, dans la même phrase de deux adjectifs contradictoires : « peu à peu » et « le plus vite possible ». Il faut ainsi, dans la dictature du prolétariat, réduire « peu à peu » la bourgeoisie, afin d’accroitre « le plus vite possible » la masse des forces de production. La masse des forces de production correspond à la somme des hommes qui produisent dans un pays déterminé, autrement dit les prolétaires. Il faut ainsi prendre petit à petit les moyens de production pour éviter une contre révolution de la petite bourgeoisie et d’un autre côté utiliser ces moyens de production pour augmenter le nombre de prolétaires. Cette action a surtout pour objectif de faire rentrer la paysannerie dans le prolétariat. Ainsi le prolétariat devient de plus en plus nombreux et de plus en plus fort en face de la petite bourgeoisie, qui devient au fur et à mesure minoritaire. Ce n’est seulement qu’à ce moment, et dans la suite logique de la révolution permanente, qu’il faut priver la petite bourgeoisie de ces moyens de production. Le second objectif résulte dans l’accroissement des forces productives afin de garantir la sécurité de la révolution. En effet, c’est un fait historique que chaque révolution communiste ou socialiste est marquée par l’attaque de la monarchie ou des pays capitalistes voisins. Ces derniers viennent défendre leurs intérêts en protégeant leurs accords commerciaux avec ce pays. Mais aussi ils cherchent à éviter une épidémie révolutionnaire éventuelle. Pour l’époque de Marx, ceci a été le cas pour la révolution française et ce sera aussi le cas pour Louis Napoléon Bonaparte. De plus, pour notre époque, ce principe s’est vérifié pour la révolution russe de 1917 et pour la révolution cubaine, entre autre. Il s’agit donc d’accroitre la masse des prolétaires pour faire face à ces attaques, mais aussi pour éliminer la petite bourgeoisie.
« Cela ne peut naturellement se faire tout d’abord qu’au moyen d’interventions despotiques dans le droit de propriété et dans les rapports de production bourgeois, donc grâce à des mesures qui apparaissent économiquement insuffisantes et insoutenables, mais qui, au cours du mouvement, tendent à se dépasser elles-mêmes et qui sont inévitables comme moyen de bouleverser tout le mode de production. »
Manifeste du Parti Communiste, Paris GF Flammarion, 1998, p.100
Ainsi, pour marquer sa domination le prolétariat doit devenir despotique. Le despotisme est, par définition l’attitude politique du souverain qui consiste à gouverner avec une autorité oppressive, arbitraire et absolue. Nous devons remarquer le paradoxe apparent entre cette citation et celle qui précède. Elles sont toutes deux non seulement dans la même œuvre, à savoir le Manifeste du Parti Communiste, mais qui plus est elles sont sur la même page. Le prolétariat est à la fois démocratique et despotique. Comment alors le gouvernement peut-il prendre ses décisions après la concertation de tous les prolétaires et en même temps être absolu et arbitraire ? Il semble pourtant que le prolétariat ne puisse pas être, dans ce moment précis de son histoire, autre que despotique, comme l’affirme Marx par le terme « naturellement ». En effet chaque bourgeois a pour propriété privée un moyen de production, c'est-à-dire qu’il a le droit d’user, de jouir et de disposer de son entreprise et ceci comme bon lui semble. De plus, cette propriété est ce qui lui permet de bien vivre. Il n’est donc pas envisageable pour lui d’abandonner son bien, qui est le fruit même de son labeur ou de celui de ces ancêtres. Ceci est d’autant plus vrai que la loi de l’ancien système capitaliste lui permettait d’en posséder. En supprimant son moyen de production, les prolétaires deviennent despotiques car ils agissent contrairement à toutes lois établies. De plus ils ne font pas de cette action une loi universelle car la privation des moyens de production doit se faire de façon progressive. Le prolétariat est donc dans ce sens arbitraire. Ensuite, le pouvoir du prolétariat est absolu car, bien que son organisation interne soit démocratique, il ne représente jamais les intérêts autres que les siens. Enfin, le prolétariat devient oppressif car il fait subir ses actions à l’ensemble de la grande, puis de la petite bourgeoisie et ceci contre la volonté de ces derniers. Mais le prolétariat est démocratique de façon interne car ses décisions ne sont pas prises de façon absolue. Leurs actions servent leur cause et en ce sens elles ne sont pas le fruit de l’arbitraire. Cependant il agit dans son ensemble et comme un seul homme comme étant despotique avec les autres classes opposées. Ainsi le prolétariat est démocratique dans sa pratique théorique, c'est-à-dire dans la décision de ses actions, mais il est despotique dans leur exécution.
Cependant ces mesures économiques et despotiques, que nous allons analyser en détail ultérieurement, apparaissent comme « insuffisantes et insoutenables ». Ceci ne signifie donc pas qu’elles le sont mais plutôt que leurs effets ne sont pas perceptibles. D’abord, elles semblent insuffisantes car leur but ne peut pas être atteint rapidement. En effet, la transformation sociale de la classe bourgeoise en classe du prolétariat doit se faire petit à petit pour éviter une contre révolution possible, mais aussi pour éviter une guerre civile. Il ne s’agit pas de mettre le pays à feu et à sang. Au contraire, il s’agit de profiter des acquis des capitalistes, notamment en termes de moyens de production et ainsi construire rapidement l’économie communiste. Ainsi, les mesures économiques semblent insuffisantes car elles sont progressives. Ensuite ces mesures apparaissent comme insoutenables car leurs effets immédiats sont en contradiction avec leurs buts ultimes. En effet, la privation des moyens de production n’atteint, dans un premier temps, que certains bourgeois tandis qu’elle frappe aussi la paysannerie, comme nous allons le voir prochainement. La paysannerie est alors frappée en tant que propriétaires terriens, mais ces derniers sont aussi pauvres que les prolétaires eux-mêmes. Les premières actions des prolétaires semblent donc insoutenables car elles attaquent et dépossèdent les plus pauvres. En réalité, ceci a pour objectif d’augmenter les ressources de paysans et d’améliorer la production générale, mais aussi, comme nous l’avons vu, de les faire entrer dans la classe du prolétariat afin de grossir la masse des forces productives. Aussi, l’évolution de la société ne peut pas échapper à l’industrialisation et donc la main d’œuvre est nécessaire. Dans les faits historiques, tous les pays communistes qui ont suivi cette action ont été confrontés à de largues révoltes de la paysannerie, qui refusait naturellement de se laisser déposséder de sa terre. Ceci a alors donné lieu à des réprimandes violentes dans le sang, puis des déportations et finalement à l’abandon de telles mesures. Cependant nous devons rappeler que la paysannerie concerne, à cette époque, près de 50% de la population totale. Leur rentrée dans le prolétariat était donc nécessaire car elles garantissaient l’agrandissement exponentiel de la masse des forces productives. De plus, seule la paysannerie est capable de former une armée contre-révolutionnaire. Enfin, ces mesures économiques sont tout de même poussées à se dépasser au fur et à mesure que la classe bourgeoise diminue et rejoint progressivement dans le prolétariat et que la paysannerie rejoigne les forces productives. Avant de voir ces mesures économiques, nous devons rappeler qu’elles sont nécessaires car la transformation du mode de production est contraire aux intérêts des classes dominantes. Ces classes empêchent alors, de toutes leurs forces tous bouleversements sociaux. Le despotisme semble donc être la seule alternative.
« 1. L’expropriation de la propriété foncière et utilisation de rente foncière pour les dépenses de l’Etat.
2. Impôt progressif élevé
3. Abolition du droit d’Héritage
4. Confiscation de la propriété de tous les émigrés et rebelles
5. Centralisation du crédit entre les mains de l’Etat au moyen d’une banque nationale à Capital d’Etat et à monopole exclusif
6. Centralisation de tous les transports entre les mains de l’Etat »
Manifeste du Parti Communiste, Paris GF Flammarion, 1998 p.100-101
La première réforme vise alors la suppression des propriétaires fonciers. Ces derniers sont des individus qui possèdent des terres. Ils sont donc principalement des rentiers issus de l’aristocratie, des bourgeois et des paysans. Cependant il y a une différence entre les propriétés immobilières et les propriétés de terre et de moyens de production. Seules ces dernières sont concernées par cette mesure. L’objectif est alors d’éliminer les derniers aristocrates et de diminuer les bourgeois et les paysans. De plus ceci permet de profiter des rentes de ces derniers au profit de l’Etat. L’objectif plus profond est alors de faire entrer, dans la masse des forces productives, les paysans. En échange, nous supposons que l’Etat viendra leur verser un salaire. Le but est donc d’améliorer les rentes de l’Etat.
La deuxième mesure consiste à mettre des impôts aux revenus des plus riches. Ceci pour répondre à trois objectifs. D’abord, il s’agit d’augmenter les fonds de l’Etat par le biais d’impôt. Ensuite ceci vise à réduire l’écart social entre les salaires les plus forts et ceux des plus faibles. Enfin il s’agit de faire fuir l’aristocratie et la bourgeoisie afin que ces derniers tombent sous la juridiction de la quatrième mesure.
La troisième réforme vise la disparition progressive de toutes les différences de classe. L’héritage est par définition une loi qui vise la succession des biens matériels (et, au temps de la monarchie, des titres). Or les bourgeois et les paysans se distinguent du prolétariat par la possession des moyens de production. Après leur mort, ces moyens de production reviendront automatiquement à l’ensemble de la communauté. Les fils et les filles de ces classes ne peuvent alors pas devenir à leur tour des propriétaires. C’est alors la communauté qui obtient leurs biens et les héritiers des classes privilégiées tombent dans le prolétariat. L’abolition du droit d’héritage est alors la méthode douce pour une suppression des différences de classe.
La quatrième mesure concerne les rebelles aux régimes des prolétaires, c'est-à-dire ceux qui veulent protéger leur propriété. La confiscation de leurs biens a pour effet, comme nous l’avons vu, de faire tomber les bourgeois, aristocrates et paysans dans le prolétariat. Cette mesure vise d’une part à éliminer tous moyens financiers de ceux qui se rebellent, d’autre part elle vise à dissuader de toute rébellion. Quant aux émigrés, seules les bourgeois et les aristocrates sont concernés car ce sont les seuls qui ont les moyens de quitter le pays. Ils sont autorisés à partir mais sans les moyens de production qu’ils possèdent car non seulement elles ont proliféré grâce aux prolétaires, mais aussi car elles appartiennent maintenant aux prolétaires selon les règles de la dictature du prolétariat. Ces nouveaux moyens de productions servent alors à agrandir les rentent de l’Etat. Nous devons remarquer que la dictature du prolétariat n’a rien contre la personne même du bourgeois, mais juste contre sa condition sociale. Ainsi l’ancien bourgeois peut donc librement partir s’il ne veut pas rester dans un pays en tant qu’égal que ses concitoyens. Cependant, dans tous les cas, les moyens de production appartiennent au prolétariat.
La cinquième réforme vise l’augmentation et la gestion des finances de l’Etat. Le Capital d’Etat désigne l’argent engendré par le profit réalisé par la banque nationale. Le monopole exclusif correspond alors à l’élimination des banques privées et donc de la concurrence en générale. Par le biais d’une banque nationale à monopole exclusif, l’argent que chaque homme pose dans cette banque participe à la gestion de projet d’Etat. Le capital d’Etat augmente en même temps qu’augmente l’argent placé dans la banque. De plus, de la même manière que les banques privées, la banque nationale réalise des profits pour l’Etat, en finançant, par le crédit, des projets rentables. La centralisation du crédit permet aussi, de la même manière que l’impôt progressif, de réaliser un taux du crédit progressif et ainsi réduire, une fois de plus, l’écart entre les riches et les pauvres et même d’interdire le crédit qui servent à des fins privées. Cependant, nous devons noter qu’il reste impossible, par le biais du crédit, d’acquérir un moyen de production.
La sixième mesure vise d’abord l’augmentation des finances de l’Etat, sauf si les transports sont gratuits, mais Marx ne le précise pas et ceci n’est pas le rôle premier. En effet, elle vise la possibilité de regroupement massif des prolétaires de toutes les grandes villes de France, en cas de contre-révolution. Enfin et surtout elle vise l’organisation géopolitique de l’augmentation de la masse des forces productives, c'est-à-dire qu’elle permet la possibilité de réaliser la construction d’habitations à la périphérie des villes tout-en permettant à ces ouvriers d’aller à leur travail.
Les bouleversements sociologiques visent donc l’augmentation du pouvoir financier de l’Etat prolétarien, la diminution de la bourgeoisie (soit en réduisant l’Ecart entre les deux classes, soit en les privant de leur moyens de production) et l’augmentation des forces productives par la diminution de la paysannerie. Mais nous allons voir plus précisément ce point au cours de la prochaine partie sur les bouleversements psychologiques.
1 Fin de la ligue des Communiste, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1994 p.567
Avant toute chose, nous devons rappeler que le concept de dictature n’est pas le même de notre temps et celui de Marx. La signification a considérablement évolué. Ainsi la dictature de nos jours désigne un régime politique permanent où tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d’un seul homme ou d’un seul parti. Or pour les Romains, la dictature désigne une période politique d’exception où l’on désigne, parmi les anciens consuls, un dictateur. Dans la république Romaine, le sénat approuve la nécessité de la dictature et les consuls désignent alors un homme qui aura les pleins pouvoirs pendant une période maximale de six mois. Le dictateur doit cependant désigner un « maître des cavaleries » qui aura le rôle de chef d’état major, c'est-à-dire de second. Ainsi dans notre France contemporaine, la dictature correspond à l’Etat d’urgence, c'est-à-dire au moment où le président concentre entre ses mains tous les pouvoirs. Ainsi il y a ainsi une différence fondamentale entre la tyrannie et la dictature. Il en va de même pour Marx. Cette différence à été éliminée après les différences expériences catastrophiques des Etats communistes et fascistes. Pour Marx, la dictature du prolétariat désigne alors un état d’exception entre la révolution et le communisme.
Extrait de la Société universelle des communistes révolutionnaires de mi Avril 1850 :
« Art. 1 : Le but de l’association est la déchéance de toutes les classes privilégiées, de soumettre ces classes à la dictature des prolétaires en maintenant la révolution en permanence, jusqu’à la réalisation du communisme. »
Fin de la Ligue des communistes, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994p.559
L’association ici citée par Marx n’est rien d’autre que le parti communiste lui-même ou plus précisément ici la « société universelle des communistes révolutionnaires ». Cette association regroupe alors à cette époque, tous les communistes d’Europe qui connaissent cet organe politique (dans la mesure où ce dernier est clandestin). Le but de l’association est alors de soumettre ces classes à la dictature des prolétaires et ceci dans l’objectif de créer leur déchéance. Comme nous pouvons le lire, il s’agit bien de soumettre les classes privilégiées, c'est-à-dire de les ramener à l’obéissance des exigences des prolétaires. Les classes privilégiées ne sont ici rien d’autre que les petits et grands bourgeois qui possèdent les moyens de production et le pouvoir politique. Les bourgeois veulent alors naturellement protéger leurs privilèges, c'est-à-dire la privation des moyens de production, et même si possible améliorer d’avantage leurs conditions. Il faut donc nécessairement passer par une période de soumission des classes privilégiées, c'est-à-dire par la dictature du prolétariat. Cette période de la dictature du prolétariat est conçue comme une révolution permanente. En Effet, les historiens ont toujours minimisé les mouvements révolutionnaires en datant leur réalisation à quelques jours, les transformant ensuite éventuellement en guerre civile. Mais la révolution ne se fait jamais sur une si courte durée. La révolution est, par définition, la chute d’un système politique pour un autre système politique. Mais, comme nous l’avons vu dans notre analyse du 18 Brumaire de Louis Bonaparte, ce n’est pas parce qu’une classes sociales a pris le pouvoir que ce pouvoir est acquis. Les anciennes forces politiques en jeu dans la révolution sont toujours prêtes à prendre le pouvoir. C’est pour cela qu’il faut nécessairement passer par une phase de soumission. L’acte révolutionnaire n’est que le moment historique où la classe dominante est écrasée par un acte violent. La révolution permanente n’est alors rien d’autre que l’extension de cet événement historique, c'est-à-dire l’écrasement permanent des autres forces politiques. C’est alors seulement par cette méthode que nous arrivons à la déchéance des classes privilégiées, c'est-à-dire à faire tomber la bourgeoisie dans la classe du prolétariat.
Le communisme ne peut pas faire l’économie de la dictature du prolétariat. Cette dernière est nécessaire et agie comme élément médiateur ente le capitalisme et le communisme. Ainsi Marx déclara dans une lettre à Joseph Weydemeyer de 1850 : « Ce que j’ai fait de nouveau, ce fut de démontrer […] 2. Que la lutte de classes conduit nécessairement à la dictature du prolétariat ; 3. Que cette dictature elle-même ne constitue que la transition à l’abolition de toutes les classes et à une société sans classe. »1 Nous allons avoir de cesses de vérifier la véracité de ce fait. Mais la nécessité de cette période repose essentiellement sur la multitude des forces politiques en jeu après une révolution et donc sur les risques d’une contre révolution. Il s’installe alors chez Marx une forme de dialectique de la révolution-contre révolution qui explique la nécessité d’une dictature. En effet, il existe une inséparabilité dans la contradiction révolution (qui agit comme thèse) et contre révolution (qui est l’antithèse) où la synthèse résulte dans un acte despotique. Les forces politiques qui sont en place dans l’après révolution agissent principalement en rendant impossibles toutes actions des autres forces politiques. Chacune des forces politiques n’a, d’une part, de cesse de bloquer les actions qui permettent de consolider le pouvoir des autres forces en compétition et d’autre part elle appuis toutes les actions qu’ils lui permettraient de consolider ou d’améliorer son pouvoir. Cette dialectique de la révolution-contre révolution, exprimée dans la pratique dans le 18éme Brumaire de Louis Bonaparte, rend impossible une évolution pacifique car elle bloque le système politique dans une constante progression-régression. Un rapport de force entre les différentes forces politiques est alors nécessaire. La seule alternative pour le prolétariat résulte donc dans la révolution permanente, c'est-à-dire dans l’écrasement des forces politiques contestataires. Ainsi le prolétariat doit se réaliser dans l’après révolution immédiate, à travers le mode de système dictatorial.
Dans cette conception de la dictature du prolétariat, la fin de la dictature du prolétariat est donc marquée par la réalisation du communisme. Le communisme est alors conçu comme le moment historique où la propriété privée des moyens de production est abolie et donc où la bourgeoisie a disparu. Cependant nous ne devons pas comprendre la fin de la bourgeoisie comme étant le meurtre de tous les bourgeois. En effet le moment historique où la bourgeoisie a disparu est le moment où il n’y a plus de moyens de production privés. Les anciens bourgeois ne sont pas nécessairement morts mais ils sont nécessairement tombés dans le prolétariat. L’objectif, dans la dictature du prolétariat, est donc de supprimer l’aliénation du prolétariat en supprimant ce qui est la cause même de cette aliénation, c'est-à-dire la propriété privé des moyens de production. La dictature doit supprimer l’ancien mode de production pour que chacun des moyens de production profite à chaque membre de la société. Autrement dit pour rétablir un lien entre les travailleurs et l’objet de leur travail. Par exemple, l’ouvrier d’une usine d’automobile ne fabrique plus de voitures pour recevoir un salaire mais pour contribuer directement au progrès technique de sa communauté. Le travail retrouve sa véritable nature car chaque travailleur est au service de la survie et du progrès technique de sa propre communauté et donc de lui-même. Il sert son propre intérêt. De plus l’objectif de son travail n’est plus la maximisation du profit mais au contraire le progrès technique de la communauté. Ce progrès passe alors nécessairement par un progrès des conditions de travail et donc par la destruction de la division du travail. La division du travail ne vise que la maximisation du rendement et du profit final, elle ne prend pas en compte l’aliénation des individus par la dépersonnalisation de l’objet issu du travail. Ce mode de production est alors aboli tant que le rendement n’est plus une nécessité vitale pour la nation. Cependant nous devons noter qu’aucun pays se réclamant du communisme n’a aboli ce deuxième point. Ensuite, par la médiation du travail, chaque membre, qui agit dans un milieu professionnel non aliéné, se fait progresser et fait progresser sa nation. Ainsi il ne faut pas s’étonner des fortes croissances des pays communistes car chaque ouvrier obtient plus de reconnaissance en travaillant pour soi et pour la grandeur de sa communauté, que pour survivre et augmenter le profit d’un particulier. En effet, d’un coté les effets immédiats de la quantité et la qualité du travail de l’ouvrier ont une incidence directe sur sa propre vie alors que de l’autre coté ils ont une incidence sur les profits des bourgeois. Nous devons noter que bien que Marx ait refusé toute dimension nationaliste, le communisme fait toujours appel à un esprit communautaire. En supprimant l’aliénation du travail, c'est-à-dire en supprimant la privation des moyens de production, chaque homme travaille pour faire progresser sa propre communauté. C’est donc parce que chaque homme devient libre dans son travail, pour se faire progresser techniquement, que tous, l’ensemble de la nation, progresse. C’est parce que l’homme a un esprit communautaire que la communauté fonctionne. La fin de la dictature du prolétariat est alors marquée par la privation des moyens de production ou, autrement dit, la déchéance des classes possédantes. L’objectif premier de la dictature est donc la déchéance des classes autres que le prolétariat :
« Ce socialisme est la déclaration de la révolution en permanence, la dictature de la classe du prolétariat comme point de transition nécessaire vers l’abolition des différences de classes tout court, vers l’abolition de tous les rapports de production sur lesquels elles reposent, vers l’abolition de toutes les relations qui correspondent à ces rapports de production, vers le bouleversement de toutes les idées qui naissent de ces relations sociales. »
Fin de la Ligue des communistes, N°3 de la Neue Rheinische Zeitung, 4 juillet 1850, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994p.567
La dictature du prolétariat a donc pour objectif deux bouleversements essentiels pour l’avènement de la nouvelle société communiste. Le premier, que nous allons analyser dans un premier temps, est un bouleversement sociologique de la société et le second, que nous allons étudier dans un deuxième temps, est un bouleversement psychologique. Nous appelons bouleversement sociologique la transformation, plus ou moins violente et radicale, de l’organisation sociale ainsi qu’économique qui en découle. Nous entendons par bouleversement psychologique la transformation tout aussi radicale, non seulement de la perception de chaque individu de sa propre existence mais aussi de la perception de ses relations avec les autres individus.
1 labica – Bensoussan, Dictionnaire Critique du Marxisme, PUF, Paris, 2001
Charles Louis Napoléon Bonaparte, dit Louis Bonaparte, est le premier président de la république, élu le 10 décembre 1848 avec 74% de voix au suffrage universel. Il prête alors serment devant l’assemblée le 20 décembre 1848, date du début de l’agonie du républicanisme selon Marx. A la fin mai 1849, l’assemblée obtient une majorité conservatrice (avec le parti de l’ordre). Les bourgeois républicains sont donc réduits au silence parlementaire. Il s’en suivra alors d’une lutte de pouvoir entre Bonaparte et le parti de l’ordre. L’histoire nous apprendra qu’à la suite de cette lutte, Napoléon III deviendra par la suite le 3éme empereur des Français et le dernier des monarques. Nous allons voir maintenant l’histoire de cette lutte.
« Le vote de défiance du 18 Janvier fut adopté par 415 voix contre 286. […] Il prouva donc que le parti de l’ordre avait perdu non seulement le ministère, non seulement l’armée, mais encore, dans ses conflits avec Bonaparte, sa majorité parlementaire autonome, qu’une clique de représentants avait déserté son camp par désir fanatique de conciliation, par peur du combat, par lassitude, par considération de la famille pour des proches vivant des derniers publics, par spéculation sur la vacance prochaine de poste ministériel […], par pu égoïsme qui incline toujours le bourgeois ordinaire à sacrifier l’intérêt général de sa classe à tel ou tel motif privé particulier. »
Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994chap.3, p502
Nous sommes alors en Janvier 1851, moment historique où Louis Bonaparte renvoie le Général des armées Changarnier, partisan du parti de l’ordre. Ceci provoquera une crise ouverte entre Bonaparte et son parti. Ce dernier organisera alors un vote par défiance. Un vote de défiance est une élection organisée par le parlement, dans le but de montrer son désaccord avec le gouvernement. En d’autres termes, c’est la preuve d’un désaccord entre le pouvoir législatif et exécutif mais aussi que le parti de l’ordre a perdu le contrôle du gouvernement. En effet le parti de l’ordre est majoritaire au parlement et par conséquent le fait que le vote fut adopté par une large majorité prouve que ce parti est non seulement contre le gouvernement et son président (qu’il a lui-même fait élire), mais aussi qu’il perd le contrôle du pouvoir exécutif. Le parti de l’ordre a ainsi perdu le ministère, c'est-à-dire la sympathie des ministres et des services spécifique qu’ils s’assument. Le gouvernement n’étant rien d’autre que la somme des ministères, si un certain nombre de membres du parti de l’ordre vote contre le gouvernement, ceci signifie qu’ils désapprouvent l’action des ministres et donc qu’ils en ont perdu la direction. De même, le parti de l’ordre a perdu le soutien et la gouvernance de l’armée, par la destitution du général Changarnier, qui été sympathisant du parti. Enfin il a perdu sa majorité parlementaire puisqu’elle se compose dorénavant toujours d’Orléanistes et les légitimistes mais aussi de Bonapartistes qui, dans ce vote de défiance, se désolidarisent du parti de l’ordre. Pour obtenir une majorité, le parti de l’ordre doit alors maintenant composer avec leurs anciens ennemis, les républicains. Le parti de l’ordre fut donc privé de sa force physique, de son pouvoir politique et même de toute influence gouvernementale, mais il a gagné de nouveaux alliés dans la personne des républicains.
Les raisons de la chute du parti de l’ordre se concentrent aussi dans la faiblesse de leurs actions. En effet, comme l’affirme Marx, le parti de l’ordre n’a pas su maintenir une union de ses membres. Beaucoup ont formé, puis rejoint le camp des Bonapartistes et ceci pour plusieurs raisons que l’on pourrait regrouper sous le terme d’intérêts privés. Certains quittent le parti de l’ordre par peur et par désir fanatique de conciliation. Le parti de l’ordre étant privé de pouvoir physique et politique, ses membres n’ont alors plus qu’un rôle non seulement fictif, car ils n’ont plus aucunes influences, mais aussi éphémère car Bonaparte concentre entre ses mains de plus en plus de pouvoir. Pour sauver un certain pouvoir, certains membres sont donc poussés à la conciliation, c'est-à-dire à trouver un accord avec Bonaparte dans l’objectif de sauver leurs intérêts. Les autres se rapprochent de la désertion de ce parti pour des raisons spéculatives sur les prochains postes ministériels. Certains membres du parti de l’ordre voyant le vent tourner n’hésitent pas à changer de camp pour sauver leurs intérêts personnels. Ces derniers vont alors là où il y a le pouvoir, c'est-à-dire entre les mains de Bonaparte, au lieu de le combattre pour garder le leur. En effet dans une telle perspective de combat, les derniers à rester dans cette lutte sont ceux qui ne pourront pas « se recycler » et perdront alors tout pouvoir. D’un autre coté si une certaine partie des membres quittent le navire avant même l’affrontement, les chances de victoire du parti de l’ordre diminuent à chaque perte de membres. Ceci est d’autant plus rapide que ces derniers viennent renforcer le parti adverse. La faiblesse du parti de l’ordre tient donc dans la désunion de ses membres. De cette sorte Marx déclare que le « bourgeois ordinaire » sacrifie toujours « l’intérêt général de sa classe » pour un « motif privé ». Il faut de plus remarquer que ce qui unit la bourgeoisie en général repose dans la défense des intérêts privés de chacun. Alors si un bourgeois juge que son intérêt n’est plus soutenu par tel ou tel parti, représentant sa classe sociale, alors naturellement il quittera ce parti et ceci pour les mêmes raisons qu’ils l’ont poussé à le suivre : par intérêt privé. De cette façon, c’est parce que la bourgeoisie est unie par les intérêts privés de chacun que certains membres quittent leur parti pour rejoindre le parti opposé. Marx parle ici de bourgeois, pour désigner des partisans de la monarchie, car bien qu’ils soient partisans de la monarchie, ces derniers concentrent les moyens de production entre leurs mains. En effet les « simples » nobles ont été plus ou moins éliminés en France, depuis la révolution de 1744. Les nobles sont maintenant devenus de grands bourgeois partisans de la monarchie.
« C’est alors seulement que fut exécuté le verdict rendu en Février contre la bourgeoisie Orléaniste, c'est-à-dire contre la fraction la plus viable de la bourgeoisie française. C’est alors qu’un coup fut porté à son parlement, son barreau, ses tribunaux de commerce, ses représentations provinciales, son notariat, son université, sa tribune, ses tribunaux, sa presse et sa littérature, ses revenus administratifs et ses frais de justice, ses traitements militaires et ses pensions d’Etat. C’est alors qu’elle fut frappée dans son esprit et dans son corps. »
Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994 Chap.7, p.528
Nous sommes ici en février 1852, soit après plusieurs années de conciliation et de déchéance du parti de l’ordre, qui composé maintenant majoritairement d’Orléanistes. Mais avant cela le 2 décembre 1851, Napoléons III dissous illégalement l’assemblée nationale, par un coup d’Etat. Les raisons de cet événement est qu’il devait quitter le pouvoir, selon les termes de la loi, en décembre 1852 sans qu’il soit rééligible. Il passa alors le premier semestre de 1851 à vouloir réformer la constitution mais il s’opposa aux Orléanistes alliés aux républicains. Bonaparte, par le moyen de la force armée, fit alors arrêter ses opposants, le 2 décembre 1851, et décréta alors l’état de sièges. Bien que quelques Barricades fussent dressées dans Paris par des parlementaires républicains (plus de 70 selon les historiens), ils furent tous abattus le 5 décembre 1851. En l’espace d’une semaine, 26 000 personnes seront alors arrêtées et 15 000 seront condamnées1. La bourgeoisie Orléaniste est alors totalement dissoute. C’était, selon Marx, « la fraction la plus viable de la bourgeoisie », autrement dit le seul parti capable de faire de l’ombre à Bonaparte. En effet, c’était le parti qui avait, grâce à son alliance avec le républicanisme, le plus d’influence au parlement et la meilleure organisation sous la tutelle d’Adolphe Thiers. C’est alors ce parti qui sera le plus visé dans ce coup d’Etat. Bonaparte ne représente pas l’intérêt d’une classe mais celui d’un homme et de ses partisans, tel un monarque. Il agit alors en vue de son intérêt propre et donc il ne repose pas ses actions sur des principes particuliers. Il n’a pas hésité à devenir despotique pour protéger ses intérêts. Ainsi s’il ne peut surmonter les difficultés qui s’imposent à lui, il les détruit. Nous arrivons donc ici, dans le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, au moment précis où Marx voit dans l’action de Bonaparte, l’action que chaque classe aurait dû suivre pour garder le pouvoir.
A la seule classe sociale qui était capable de s’opposer à lui, qui était selon Marx « la plus viable », Bonaparte la rendra inerte. Dans le coup d’état précédemment décrit, Napoléon III élimina tous les organismes de pouvoir où la bourgeoisie Orléaniste aurait pu s’exprimer. D’abord il leur supprima leur pouvoir directe en faisant dissoudre le parlement, en faisant arrêter ses principaux représentants, puis en éliminant leurs barreaux et leurs tribunaux, c'est-à-dire leur recourt à la justice, et leur notariat, c'est-à-dire leur pouvoir législatif et contractuel. Ainsi les Orléanistes ne peuvent plus agir sur le pouvoir, maintenant absolu, de Bonaparte. Ensuite, il fit interdire leurs universités, leurs tribunes, leurs presses et leurs littératures afin de les réduire au silence et ainsi éviter tout soutient du peuple et donc un risque de contre-révolution. En effet en ne pouvant pas se défendre, ils ne peuvent qu’avoir le mauvais rôle, c'est-à-dire le rôle que le parti Bonapartiste veut diffuser. Enfin Bonaparte leur supprimera leurs moyens financiers (frai de justice et pension d’Etat) et leurs moyens d’actions physiques (leur traitement militaire). Bonaparte attaqua donc les bourgeois Orléanistes, dans leur « esprit » et leur « corps ». Car non seulement il leur supprima tous les pouvoirs qui étaient le leur, mais en plus il ne leur donne aucun moyen de le contrer. Il frappa dans leur corps dans le sens où il leur élimina tous moyens physiques d’être et même de renaître ultérieurement, mais aussi il leur poignarda l’esprit car il les empêcha de communiquer entre eux et avec le peuple. Bonaparte élimina donc, de la façon la plus despotique qui puisse être, le seul parti qui était capable de lui faire front. Par conséquent :
« La France ne semble donc avoir échappé au despotisme d’une classe que pour retomber sous le despotisme d’un individu et qui plus est, sous l’autorité d’un individu sans autorité. »
Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994Chap.7, p.530
Nous avons donc vu ici les différentes classes sociales qui se sont succédées après la révolution ainsi que les erreurs qu’elles ont faites. La classe du prolétariat a toujours cherché à éviter des attitudes de tyran, mais ceci n’a eu que pour conséquence de laisser revenir en force leurs opposants. Leur attitude raisonnable n’a provoquée que leur chute précipitée. Le prolétariat ne s’était pas donné les moyens de garder le pouvoir. La seconde classe qui a obtenu le pouvoir, par des moyens certes despotiques, n’a fait que détruire son ancien allié qui était au pouvoir, pour établir une pseudo démocratie bourgeoise (en effet, le peuple ni était pas représenté). Cette démocratie républicaine comportait alors non seulement diverses visions de la société mais aussi d’anciens ennemis et qui plus est des ennemis même de cette démocratie. Ils ont donc ouvert la porte à ceux qui les feront chuter. Ces derniers ont alors vite fait d’acquérir le pouvoir, mais se sont fait doubler par un homme qui n’a pas hésité à garder ce pouvoir par la voix despotique. Les actes despotiques sont l’ensemble des moyens mis en œuvre pour priver les forces politiques et le peuple en règle générale du pouvoir. Rappelons qu’après la révolution, plusieurs forces politiques anciennement alliées rentrent en confit pour acquérir le pouvoir. Les classes sociales qui ont eu le pouvoir n’ont pas été capables de garder le pouvoir car elles n’ont pas employés de moyen pour priver les autres classes de ce pouvoir. Leurs ennemis se sont donc emparés de ce pouvoir et non pu le garder seulement s’ils employaient un pouvoir despotique. Le problème de la crise révolutionnaire, comme nous venons de le voir, est de savoir comment garder le pouvoir après une révolution. Marx, nous montre ici, par l’exemple de Bonaparte, la seule solution qui est envisageable et ainsi que pourquoi les autres solutions ne peuvent fonctionner. A travers ces faits historiques, nous pouvons conclure que le manque de despotisme des classes sociales n’a provoqué que le despotisme d’un homme. Cependant, il ne faut pas s’arrêter à cette approche de Marx car celle-ci ne compose que l’esquisse du concept de dictature du prolétariat. Mais bien avant cette ébauche du concept de la dictature du prolétariat, nous pouvons retrouver dans révolution et contre révolution en Europe, quelques petits passages qui montraient déjà une certaine amorce de ce concept :
« Toute situation politique provisoire qui succède à une révolution réclame une dictature, voir une dictature énergique. »
Révolution et contre révolution, Neue Rheinische Zeitung, 14 septembre 1848, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994p.51
Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, a été écrit en 1852 et il n’est alors que la preuve physique d’une nécessité que Marx avait déjà aperçut en 1848. Cette nécessité est clairement exprimée par ce passage. A la suite d’une révolution, une dictature est nécessaire. D’abord ceci s’explique par le fait que la situation qui succède une révolution est nécessairement provisoire. En effet à cause de l’essence même d’une révolution, un système politique ne peut naître directement d’une révolution. Comme nous l’avons vu, lors d’une révolution, l’ancien système politique, économique et social est renversé brusquement. Donc naturellement tout est à reconstruire et même à réinventer. La reconstruction se fait alors en fonction de la situation particulière du pays et du régime que la classe sociale dominante désire. Cette situation est donc provisoire car elle est le moment de la reconstruction. A cette période succède ainsi un véritable système politique, économique et social cohérent. Ensuite, comme nous l’avons vu, la révolution se réalise seulement si les diverses forces politiques opposées à l’ancien système s’allient. Ces forces politiques visent toutes la prise de pouvoir par la révolution. Sachant qu’un seul système pourra être appliqué, les forces politiques en jeux entrent alors en conflit pour ce pouvoir. La situation est d’autant plus délicate que la classe dirigeante de l’après révolution ne peut pas compter sur un système institutionnel répressif, puis qu’elle vient de l’abolir. De plus la nouvelle classe dirigeante a en face d’elle des forces politiques armées et directement organisées grâce à la révolution2. Ainsi comme nous venons de le voir, le pouvoir passe de main en main : ici du prolétariat, aux mains des petits bourgeois, de celles des petits bourgeois à celles des grands bourgeois et enfin de celles des grands bourgeois aux mains de Bonaparte. Enfin, la situation provisoire de l’après révolution exige nécessairement une dictature car elle est menacée par un autre danger : la contre-révolution. La contre révolution désigne le moment historique où un ancien régime revient au pouvoir et elle n’est possible seulement si ce régime n’est pas éliminé d’une manière radicale et méthodique. Ainsi nous voyons Napoléon frapper l’ancien système dans son corps et son esprit, en le réduisant au silence à tout point de vue. Il n’a plus les moyens de revenir au pouvoir. Ainsi « Toute situation politique […] réclame une dictature, voir une dictature énergique » car seule la dictature peut garantir le maintient de la force politique dirigeante. Effectivement, la dictature est par définition un régime politique, provisoire, arbitraire et coercitif dans laquelle tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains d’un homme ou d’un groupe d’hommes. La classe dirigeante se maintient alors au pouvoir par la force en s’appuyant sur des moyens militaires et en maintenant une restriction des libertés individuelles. Ainsi la force politique dirigeante contrôle les autres forces politiques par la violence. Toutes les libertés du peuple sont restreintes et la classe dirigeante peut éliminer arbitrairement tous les individus qui mettraient en péril son pouvoir. Par la dictature, la classe dirigeante maitrise ses anciens alliés et garantit son maintient. Ainsi Marx dira plus loin que :
« Dans toute situation non consolidée, ce n’est pas tel ou tel principe qui compte, mais uniquement le *salut public * »
Révolution et contre révolution, Neue Rheinische Zeitung, 14 septembre 1858, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994, p.51
Nous devons noter que le terme de « salut public » est en français dans le texte original de Marx. L’auteur fait donc référence au « comité de salut public » créé en France en 1793 par Bertrand Barére. Ce comité était un organe du gouvernement révolutionnaire de cette époque. Il avait pour objectif de faire face aux oppositions qui venaient menacer le pouvoir. A la tête de ce comité, nous retrouvions Georges Danton et Maximilien Robespierre. Ce comité, pour atteindre ses objectifs, imposa alors une dictature révolutionnaire et extrêmement répressive. Cette période fut alors qualifiée par les historiens comme étant celle de la « grande Terreur ». Nous comprendrons mieux ce que Marx entend par « salut public » en analysant ce passage de Robespierre :
« Le but du gouvernement constitutionnel est de conserver la République ; celui du gouvernement révolutionnaire est de la fonder. […] Le gouvernement révolutionnaire doit au bon citoyen toute la protection nationale ; il ne doit aux Ennemis du Peuple que la mort. Ces notions suffisent pour expliquer l’origine et la nature des lois que nous appelons révolutionnaires […].il est appuyé sur la plus sainte de toutes les lois : le salut du Peuple. »
Extrait du discours prononcé à la Convention National, le 25 décembre 1793
Le but d’un gouvernement au sens classique du terme est, dans une république, d’assurer qu’il représente et qu’il exécute bien la volonté du peuple, dans sa majorité. Ainsi le gouvernement s’assure de conserver la république en respectant ses principes. Mais ceci est réalisable seulement si une république est déjà constituée et respectée par l’ensemble du peuple. En effet, un gouvernement ne peut conserver « la République » si cette république n’est pas préalablement constituée et ceci sur des bases solides. Ceci est d’autant plus vrai si la majorité du peuple (par choix, endoctrinement ou ignorance) ne désire pas un système républicain. Ainsi comme nous l’avons vu précédemment, lorsque le prolétariat et les républicains ont pris le pouvoir, ils se sont empressés d’agir en accord avec les principes républicains. Cependant la république n’a jamais été réellement constituée. Lorsqu’elle l’a enfin été, elle a tout de suite été mise en danger par ses ennemis. Ainsi le gouvernement révolutionnaire a pour objectif de fonder la république en la protégeant de ses ennemis. Il intervient donc au moment historique qui se situe entre une révolution et un gouvernement classique. Il a pour objectif de préparer le terrain au prochain système politique. Ainsi le gouvernement révolutionnaire ne répond pas à des principes de justice ou à une constitution. Il a alors pour objectif d’épurer l’ancien système afin qu’un nouveau système naisse dans de bonne condition. Le « bon » citoyen est alors à comprendre en opposition à l’« Ennemis du Peuple », c'est-à-dire en opposition à celui qui met en danger la future république. Le bon citoyen est celui qui ne s’oppose pas aux principes républicains. En effet, la république est pensée comme étant un système politique où l’administration, l’Etat et le territoire, sont la propriété de l’ensemble du peuple. L'ennemi du peuple est celui qui aliène la propriété du peuple et donc celui qui est antirépublicain. Le bon citoyen est, à l’opposé, celui veut l’égalité entre chaque individu du peuple, donc celui qui est républicain. De cette façon, celui qui n’est pas républicain ne mérite que la mort car il met en danger l’intérêt général. De la même manière « Le salut du Peuple » est à considéré comme l’intérêt de l’ensemble du peuple. Ce salut est le moment où la population possède la gestion souveraine de son pays et lorsque chacun peut exprimer et défendre son propre intérêt. Or ce « Salut du Peuple » est le principe même de la république, c'est-à-dire un principe qui fait du pouvoir et de la nation un bien commun. C’est alors ce « salut » qui justifie les agissements despotiques du gouvernement révolutionnaire. En d’autres termes, le gouvernement révolutionnaire est tyrannique afin d’assurer l’intérêt général, en fondant un terrain stable pour le futur système républicain.
Le passage d’un système politique à un autre passe nécessairement par une situation non consolidée. Cette situation nous n’avons eu de cesse de la montrer dans notre analyse du 18 Brumaire de Louis Bonaparte. Elle est nécessaire dans la mesure où elle met en relation plusieurs forces politiques qui ont toutes une possibilité d’obtenir le pouvoir. La consolidation de la situation passe alors par une longue période de maturation où la force politique dominante écrase les autres forces politiques afin de consolider son pouvoir. Sans cela, le pouvoir passe de mains en mains jusqu'à ce qu’une force politique écrase les autres, par la voie despotique. Cette domination appliquée à la force politique du prolétariat n’est alors rien d’autre que le postulat de la dictature du prolétariat. De la même manière que Robespierre, Marx affirme ici que ce qui importe est le « salut public », c'est-à-dire que la classe sociale qui regroupe la majorité de la population obtienne et garde le pouvoir et ceci sans considération préalable pour « tel ou tel principe ». Ces principes ne sont rien d’autre qu’une doctrine (qu’elle soit communiste, anarchiste ou même républicaine). Les principes ne comptent alors pas car, comme nous l’avons vu, ils ne sont pas directement applicables dans la durée. La situation doit être stabilisée avant de pouvoir constituer un nouveau système basé sur ces principes. Ainsi, l’objectif premier est la stabilisation et nous entendons par stabilisation, l’écrasement des autres forces politiques. De plus, ce passage de Marx n’est pas sans rappeler la 3éme thèse des thèses sur Feuerbach.
« La coïncidence du changement des circonstances et de l’activité humaine ou auto-changement ne peut être considérée et comprise rationnellement qu’en tant que pratique révolutionnaire. »
labica Georges, Karl Marx. Les Thèse sur Feuerbach, Paris, PUF, 1987, p.20
En d’autres termes, afin de passer d’un système déterminé de pouvoir à un autre système politique, il faut nécessairement passer par une activité humaine d’extériorisation, c'est-à-dire par un groupe d’hommes qui désirent ensemble changer leur mode d’existence et ceci par le dépassement de l’ancien mode. C’est donc seulement par la pratique révolutionnaire qu’il peut exister un changement car l’ancienne classe sociale ne peut rationnellement oublier ses avantages et abandonner son pouvoir. Il y a alors conflit entre plusieurs classes sociales qui veulent le pouvoir et ce conflit ne peut se résoudre que par la violence et l’écrasement de la classe la plus faible. Cette écrasement ou « pratique révolutionnaire », qui précède la transformation d’un système social est, appliquée à la classe la plus nombreuse, la dictature du prolétariat.
1 Henri Guillemin, le coup du 2 décembre, Paris, Gallimard, 1951
2 Voir notre Chap.1, Partie C.2.2 « les armes de la chute du capitalisme »
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