Charles Louis Napoléon Bonaparte, dit Louis Bonaparte, est le premier président de la république, élu le 10 décembre 1848 avec 74% de voix au suffrage universel. Il prête alors serment devant l’assemblée le 20 décembre 1848, date du début de l’agonie du républicanisme selon Marx. A la fin mai 1849, l’assemblée obtient une majorité conservatrice (avec le parti de l’ordre). Les bourgeois républicains sont donc réduits au silence parlementaire. Il s’en suivra alors d’une lutte de pouvoir entre Bonaparte et le parti de l’ordre. L’histoire nous apprendra qu’à la suite de cette lutte, Napoléon III deviendra par la suite le 3éme empereur des Français et le dernier des monarques. Nous allons voir maintenant l’histoire de cette lutte.
« Le vote de défiance du 18 Janvier fut adopté par 415 voix contre 286. […] Il prouva donc que le parti de l’ordre avait perdu non seulement le ministère, non seulement l’armée, mais encore, dans ses conflits avec Bonaparte, sa majorité parlementaire autonome, qu’une clique de représentants avait déserté son camp par désir fanatique de conciliation, par peur du combat, par lassitude, par considération de la famille pour des proches vivant des derniers publics, par spéculation sur la vacance prochaine de poste ministériel […], par pu égoïsme qui incline toujours le bourgeois ordinaire à sacrifier l’intérêt général de sa classe à tel ou tel motif privé particulier. »
Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994chap.3, p502
Nous sommes alors en Janvier 1851, moment historique où Louis Bonaparte renvoie le Général des armées Changarnier, partisan du parti de l’ordre. Ceci provoquera une crise ouverte entre Bonaparte et son parti. Ce dernier organisera alors un vote par défiance. Un vote de défiance est une élection organisée par le parlement, dans le but de montrer son désaccord avec le gouvernement. En d’autres termes, c’est la preuve d’un désaccord entre le pouvoir législatif et exécutif mais aussi que le parti de l’ordre a perdu le contrôle du gouvernement. En effet le parti de l’ordre est majoritaire au parlement et par conséquent le fait que le vote fut adopté par une large majorité prouve que ce parti est non seulement contre le gouvernement et son président (qu’il a lui-même fait élire), mais aussi qu’il perd le contrôle du pouvoir exécutif. Le parti de l’ordre a ainsi perdu le ministère, c'est-à-dire la sympathie des ministres et des services spécifique qu’ils s’assument. Le gouvernement n’étant rien d’autre que la somme des ministères, si un certain nombre de membres du parti de l’ordre vote contre le gouvernement, ceci signifie qu’ils désapprouvent l’action des ministres et donc qu’ils en ont perdu la direction. De même, le parti de l’ordre a perdu le soutien et la gouvernance de l’armée, par la destitution du général Changarnier, qui été sympathisant du parti. Enfin il a perdu sa majorité parlementaire puisqu’elle se compose dorénavant toujours d’Orléanistes et les légitimistes mais aussi de Bonapartistes qui, dans ce vote de défiance, se désolidarisent du parti de l’ordre. Pour obtenir une majorité, le parti de l’ordre doit alors maintenant composer avec leurs anciens ennemis, les républicains. Le parti de l’ordre fut donc privé de sa force physique, de son pouvoir politique et même de toute influence gouvernementale, mais il a gagné de nouveaux alliés dans la personne des républicains.
Les raisons de la chute du parti de l’ordre se concentrent aussi dans la faiblesse de leurs actions. En effet, comme l’affirme Marx, le parti de l’ordre n’a pas su maintenir une union de ses membres. Beaucoup ont formé, puis rejoint le camp des Bonapartistes et ceci pour plusieurs raisons que l’on pourrait regrouper sous le terme d’intérêts privés. Certains quittent le parti de l’ordre par peur et par désir fanatique de conciliation. Le parti de l’ordre étant privé de pouvoir physique et politique, ses membres n’ont alors plus qu’un rôle non seulement fictif, car ils n’ont plus aucunes influences, mais aussi éphémère car Bonaparte concentre entre ses mains de plus en plus de pouvoir. Pour sauver un certain pouvoir, certains membres sont donc poussés à la conciliation, c'est-à-dire à trouver un accord avec Bonaparte dans l’objectif de sauver leurs intérêts. Les autres se rapprochent de la désertion de ce parti pour des raisons spéculatives sur les prochains postes ministériels. Certains membres du parti de l’ordre voyant le vent tourner n’hésitent pas à changer de camp pour sauver leurs intérêts personnels. Ces derniers vont alors là où il y a le pouvoir, c'est-à-dire entre les mains de Bonaparte, au lieu de le combattre pour garder le leur. En effet dans une telle perspective de combat, les derniers à rester dans cette lutte sont ceux qui ne pourront pas « se recycler » et perdront alors tout pouvoir. D’un autre coté si une certaine partie des membres quittent le navire avant même l’affrontement, les chances de victoire du parti de l’ordre diminuent à chaque perte de membres. Ceci est d’autant plus rapide que ces derniers viennent renforcer le parti adverse. La faiblesse du parti de l’ordre tient donc dans la désunion de ses membres. De cette sorte Marx déclare que le « bourgeois ordinaire » sacrifie toujours « l’intérêt général de sa classe » pour un « motif privé ». Il faut de plus remarquer que ce qui unit la bourgeoisie en général repose dans la défense des intérêts privés de chacun. Alors si un bourgeois juge que son intérêt n’est plus soutenu par tel ou tel parti, représentant sa classe sociale, alors naturellement il quittera ce parti et ceci pour les mêmes raisons qu’ils l’ont poussé à le suivre : par intérêt privé. De cette façon, c’est parce que la bourgeoisie est unie par les intérêts privés de chacun que certains membres quittent leur parti pour rejoindre le parti opposé. Marx parle ici de bourgeois, pour désigner des partisans de la monarchie, car bien qu’ils soient partisans de la monarchie, ces derniers concentrent les moyens de production entre leurs mains. En effet les « simples » nobles ont été plus ou moins éliminés en France, depuis la révolution de 1744. Les nobles sont maintenant devenus de grands bourgeois partisans de la monarchie.
« C’est alors seulement que fut exécuté le verdict rendu en Février contre la bourgeoisie Orléaniste, c'est-à-dire contre la fraction la plus viable de la bourgeoisie française. C’est alors qu’un coup fut porté à son parlement, son barreau, ses tribunaux de commerce, ses représentations provinciales, son notariat, son université, sa tribune, ses tribunaux, sa presse et sa littérature, ses revenus administratifs et ses frais de justice, ses traitements militaires et ses pensions d’Etat. C’est alors qu’elle fut frappée dans son esprit et dans son corps. »
Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994 Chap.7, p.528
Nous sommes ici en février 1852, soit après plusieurs années de conciliation et de déchéance du parti de l’ordre, qui composé maintenant majoritairement d’Orléanistes. Mais avant cela le 2 décembre 1851, Napoléons III dissous illégalement l’assemblée nationale, par un coup d’Etat. Les raisons de cet événement est qu’il devait quitter le pouvoir, selon les termes de la loi, en décembre 1852 sans qu’il soit rééligible. Il passa alors le premier semestre de 1851 à vouloir réformer la constitution mais il s’opposa aux Orléanistes alliés aux républicains. Bonaparte, par le moyen de la force armée, fit alors arrêter ses opposants, le 2 décembre 1851, et décréta alors l’état de sièges. Bien que quelques Barricades fussent dressées dans Paris par des parlementaires républicains (plus de 70 selon les historiens), ils furent tous abattus le 5 décembre 1851. En l’espace d’une semaine, 26 000 personnes seront alors arrêtées et 15 000 seront condamnées1. La bourgeoisie Orléaniste est alors totalement dissoute. C’était, selon Marx, « la fraction la plus viable de la bourgeoisie », autrement dit le seul parti capable de faire de l’ombre à Bonaparte. En effet, c’était le parti qui avait, grâce à son alliance avec le républicanisme, le plus d’influence au parlement et la meilleure organisation sous la tutelle d’Adolphe Thiers. C’est alors ce parti qui sera le plus visé dans ce coup d’Etat. Bonaparte ne représente pas l’intérêt d’une classe mais celui d’un homme et de ses partisans, tel un monarque. Il agit alors en vue de son intérêt propre et donc il ne repose pas ses actions sur des principes particuliers. Il n’a pas hésité à devenir despotique pour protéger ses intérêts. Ainsi s’il ne peut surmonter les difficultés qui s’imposent à lui, il les détruit. Nous arrivons donc ici, dans le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, au moment précis où Marx voit dans l’action de Bonaparte, l’action que chaque classe aurait dû suivre pour garder le pouvoir.
A la seule classe sociale qui était capable de s’opposer à lui, qui était selon Marx « la plus viable », Bonaparte la rendra inerte. Dans le coup d’état précédemment décrit, Napoléon III élimina tous les organismes de pouvoir où la bourgeoisie Orléaniste aurait pu s’exprimer. D’abord il leur supprima leur pouvoir directe en faisant dissoudre le parlement, en faisant arrêter ses principaux représentants, puis en éliminant leurs barreaux et leurs tribunaux, c'est-à-dire leur recourt à la justice, et leur notariat, c'est-à-dire leur pouvoir législatif et contractuel. Ainsi les Orléanistes ne peuvent plus agir sur le pouvoir, maintenant absolu, de Bonaparte. Ensuite, il fit interdire leurs universités, leurs tribunes, leurs presses et leurs littératures afin de les réduire au silence et ainsi éviter tout soutient du peuple et donc un risque de contre-révolution. En effet en ne pouvant pas se défendre, ils ne peuvent qu’avoir le mauvais rôle, c'est-à-dire le rôle que le parti Bonapartiste veut diffuser. Enfin Bonaparte leur supprimera leurs moyens financiers (frai de justice et pension d’Etat) et leurs moyens d’actions physiques (leur traitement militaire). Bonaparte attaqua donc les bourgeois Orléanistes, dans leur « esprit » et leur « corps ». Car non seulement il leur supprima tous les pouvoirs qui étaient le leur, mais en plus il ne leur donne aucun moyen de le contrer. Il frappa dans leur corps dans le sens où il leur élimina tous moyens physiques d’être et même de renaître ultérieurement, mais aussi il leur poignarda l’esprit car il les empêcha de communiquer entre eux et avec le peuple. Bonaparte élimina donc, de la façon la plus despotique qui puisse être, le seul parti qui était capable de lui faire front. Par conséquent :
« La France ne semble donc avoir échappé au despotisme d’une classe que pour retomber sous le despotisme d’un individu et qui plus est, sous l’autorité d’un individu sans autorité. »
Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994Chap.7, p.530
Nous avons donc vu ici les différentes classes sociales qui se sont succédées après la révolution ainsi que les erreurs qu’elles ont faites. La classe du prolétariat a toujours cherché à éviter des attitudes de tyran, mais ceci n’a eu que pour conséquence de laisser revenir en force leurs opposants. Leur attitude raisonnable n’a provoquée que leur chute précipitée. Le prolétariat ne s’était pas donné les moyens de garder le pouvoir. La seconde classe qui a obtenu le pouvoir, par des moyens certes despotiques, n’a fait que détruire son ancien allié qui était au pouvoir, pour établir une pseudo démocratie bourgeoise (en effet, le peuple ni était pas représenté). Cette démocratie républicaine comportait alors non seulement diverses visions de la société mais aussi d’anciens ennemis et qui plus est des ennemis même de cette démocratie. Ils ont donc ouvert la porte à ceux qui les feront chuter. Ces derniers ont alors vite fait d’acquérir le pouvoir, mais se sont fait doubler par un homme qui n’a pas hésité à garder ce pouvoir par la voix despotique. Les actes despotiques sont l’ensemble des moyens mis en œuvre pour priver les forces politiques et le peuple en règle générale du pouvoir. Rappelons qu’après la révolution, plusieurs forces politiques anciennement alliées rentrent en confit pour acquérir le pouvoir. Les classes sociales qui ont eu le pouvoir n’ont pas été capables de garder le pouvoir car elles n’ont pas employés de moyen pour priver les autres classes de ce pouvoir. Leurs ennemis se sont donc emparés de ce pouvoir et non pu le garder seulement s’ils employaient un pouvoir despotique. Le problème de la crise révolutionnaire, comme nous venons de le voir, est de savoir comment garder le pouvoir après une révolution. Marx, nous montre ici, par l’exemple de Bonaparte, la seule solution qui est envisageable et ainsi que pourquoi les autres solutions ne peuvent fonctionner. A travers ces faits historiques, nous pouvons conclure que le manque de despotisme des classes sociales n’a provoqué que le despotisme d’un homme. Cependant, il ne faut pas s’arrêter à cette approche de Marx car celle-ci ne compose que l’esquisse du concept de dictature du prolétariat. Mais bien avant cette ébauche du concept de la dictature du prolétariat, nous pouvons retrouver dans révolution et contre révolution en Europe, quelques petits passages qui montraient déjà une certaine amorce de ce concept :
« Toute situation politique provisoire qui succède à une révolution réclame une dictature, voir une dictature énergique. »
Révolution et contre révolution, Neue Rheinische Zeitung, 14 septembre 1848, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994p.51
Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, a été écrit en 1852 et il n’est alors que la preuve physique d’une nécessité que Marx avait déjà aperçut en 1848. Cette nécessité est clairement exprimée par ce passage. A la suite d’une révolution, une dictature est nécessaire. D’abord ceci s’explique par le fait que la situation qui succède une révolution est nécessairement provisoire. En effet à cause de l’essence même d’une révolution, un système politique ne peut naître directement d’une révolution. Comme nous l’avons vu, lors d’une révolution, l’ancien système politique, économique et social est renversé brusquement. Donc naturellement tout est à reconstruire et même à réinventer. La reconstruction se fait alors en fonction de la situation particulière du pays et du régime que la classe sociale dominante désire. Cette situation est donc provisoire car elle est le moment de la reconstruction. A cette période succède ainsi un véritable système politique, économique et social cohérent. Ensuite, comme nous l’avons vu, la révolution se réalise seulement si les diverses forces politiques opposées à l’ancien système s’allient. Ces forces politiques visent toutes la prise de pouvoir par la révolution. Sachant qu’un seul système pourra être appliqué, les forces politiques en jeux entrent alors en conflit pour ce pouvoir. La situation est d’autant plus délicate que la classe dirigeante de l’après révolution ne peut pas compter sur un système institutionnel répressif, puis qu’elle vient de l’abolir. De plus la nouvelle classe dirigeante a en face d’elle des forces politiques armées et directement organisées grâce à la révolution2. Ainsi comme nous venons de le voir, le pouvoir passe de main en main : ici du prolétariat, aux mains des petits bourgeois, de celles des petits bourgeois à celles des grands bourgeois et enfin de celles des grands bourgeois aux mains de Bonaparte. Enfin, la situation provisoire de l’après révolution exige nécessairement une dictature car elle est menacée par un autre danger : la contre-révolution. La contre révolution désigne le moment historique où un ancien régime revient au pouvoir et elle n’est possible seulement si ce régime n’est pas éliminé d’une manière radicale et méthodique. Ainsi nous voyons Napoléon frapper l’ancien système dans son corps et son esprit, en le réduisant au silence à tout point de vue. Il n’a plus les moyens de revenir au pouvoir. Ainsi « Toute situation politique […] réclame une dictature, voir une dictature énergique » car seule la dictature peut garantir le maintient de la force politique dirigeante. Effectivement, la dictature est par définition un régime politique, provisoire, arbitraire et coercitif dans laquelle tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains d’un homme ou d’un groupe d’hommes. La classe dirigeante se maintient alors au pouvoir par la force en s’appuyant sur des moyens militaires et en maintenant une restriction des libertés individuelles. Ainsi la force politique dirigeante contrôle les autres forces politiques par la violence. Toutes les libertés du peuple sont restreintes et la classe dirigeante peut éliminer arbitrairement tous les individus qui mettraient en péril son pouvoir. Par la dictature, la classe dirigeante maitrise ses anciens alliés et garantit son maintient. Ainsi Marx dira plus loin que :
« Dans toute situation non consolidée, ce n’est pas tel ou tel principe qui compte, mais uniquement le *salut public * »
Révolution et contre révolution, Neue Rheinische Zeitung, 14 septembre 1858, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994, p.51
Nous devons noter que le terme de « salut public » est en français dans le texte original de Marx. L’auteur fait donc référence au « comité de salut public » créé en France en 1793 par Bertrand Barére. Ce comité était un organe du gouvernement révolutionnaire de cette époque. Il avait pour objectif de faire face aux oppositions qui venaient menacer le pouvoir. A la tête de ce comité, nous retrouvions Georges Danton et Maximilien Robespierre. Ce comité, pour atteindre ses objectifs, imposa alors une dictature révolutionnaire et extrêmement répressive. Cette période fut alors qualifiée par les historiens comme étant celle de la « grande Terreur ». Nous comprendrons mieux ce que Marx entend par « salut public » en analysant ce passage de Robespierre :
« Le but du gouvernement constitutionnel est de conserver la République ; celui du gouvernement révolutionnaire est de la fonder. […] Le gouvernement révolutionnaire doit au bon citoyen toute la protection nationale ; il ne doit aux Ennemis du Peuple que la mort. Ces notions suffisent pour expliquer l’origine et la nature des lois que nous appelons révolutionnaires […].il est appuyé sur la plus sainte de toutes les lois : le salut du Peuple. »
Extrait du discours prononcé à la Convention National, le 25 décembre 1793
Le but d’un gouvernement au sens classique du terme est, dans une république, d’assurer qu’il représente et qu’il exécute bien la volonté du peuple, dans sa majorité. Ainsi le gouvernement s’assure de conserver la république en respectant ses principes. Mais ceci est réalisable seulement si une république est déjà constituée et respectée par l’ensemble du peuple. En effet, un gouvernement ne peut conserver « la République » si cette république n’est pas préalablement constituée et ceci sur des bases solides. Ceci est d’autant plus vrai si la majorité du peuple (par choix, endoctrinement ou ignorance) ne désire pas un système républicain. Ainsi comme nous l’avons vu précédemment, lorsque le prolétariat et les républicains ont pris le pouvoir, ils se sont empressés d’agir en accord avec les principes républicains. Cependant la république n’a jamais été réellement constituée. Lorsqu’elle l’a enfin été, elle a tout de suite été mise en danger par ses ennemis. Ainsi le gouvernement révolutionnaire a pour objectif de fonder la république en la protégeant de ses ennemis. Il intervient donc au moment historique qui se situe entre une révolution et un gouvernement classique. Il a pour objectif de préparer le terrain au prochain système politique. Ainsi le gouvernement révolutionnaire ne répond pas à des principes de justice ou à une constitution. Il a alors pour objectif d’épurer l’ancien système afin qu’un nouveau système naisse dans de bonne condition. Le « bon » citoyen est alors à comprendre en opposition à l’« Ennemis du Peuple », c'est-à-dire en opposition à celui qui met en danger la future république. Le bon citoyen est celui qui ne s’oppose pas aux principes républicains. En effet, la république est pensée comme étant un système politique où l’administration, l’Etat et le territoire, sont la propriété de l’ensemble du peuple. L'ennemi du peuple est celui qui aliène la propriété du peuple et donc celui qui est antirépublicain. Le bon citoyen est, à l’opposé, celui veut l’égalité entre chaque individu du peuple, donc celui qui est républicain. De cette façon, celui qui n’est pas républicain ne mérite que la mort car il met en danger l’intérêt général. De la même manière « Le salut du Peuple » est à considéré comme l’intérêt de l’ensemble du peuple. Ce salut est le moment où la population possède la gestion souveraine de son pays et lorsque chacun peut exprimer et défendre son propre intérêt. Or ce « Salut du Peuple » est le principe même de la république, c'est-à-dire un principe qui fait du pouvoir et de la nation un bien commun. C’est alors ce « salut » qui justifie les agissements despotiques du gouvernement révolutionnaire. En d’autres termes, le gouvernement révolutionnaire est tyrannique afin d’assurer l’intérêt général, en fondant un terrain stable pour le futur système républicain.
Le passage d’un système politique à un autre passe nécessairement par une situation non consolidée. Cette situation nous n’avons eu de cesse de la montrer dans notre analyse du 18 Brumaire de Louis Bonaparte. Elle est nécessaire dans la mesure où elle met en relation plusieurs forces politiques qui ont toutes une possibilité d’obtenir le pouvoir. La consolidation de la situation passe alors par une longue période de maturation où la force politique dominante écrase les autres forces politiques afin de consolider son pouvoir. Sans cela, le pouvoir passe de mains en mains jusqu'à ce qu’une force politique écrase les autres, par la voie despotique. Cette domination appliquée à la force politique du prolétariat n’est alors rien d’autre que le postulat de la dictature du prolétariat. De la même manière que Robespierre, Marx affirme ici que ce qui importe est le « salut public », c'est-à-dire que la classe sociale qui regroupe la majorité de la population obtienne et garde le pouvoir et ceci sans considération préalable pour « tel ou tel principe ». Ces principes ne sont rien d’autre qu’une doctrine (qu’elle soit communiste, anarchiste ou même républicaine). Les principes ne comptent alors pas car, comme nous l’avons vu, ils ne sont pas directement applicables dans la durée. La situation doit être stabilisée avant de pouvoir constituer un nouveau système basé sur ces principes. Ainsi, l’objectif premier est la stabilisation et nous entendons par stabilisation, l’écrasement des autres forces politiques. De plus, ce passage de Marx n’est pas sans rappeler la 3éme thèse des thèses sur Feuerbach.
« La coïncidence du changement des circonstances et de l’activité humaine ou auto-changement ne peut être considérée et comprise rationnellement qu’en tant que pratique révolutionnaire. »
labica Georges, Karl Marx. Les Thèse sur Feuerbach, Paris, PUF, 1987, p.20
En d’autres termes, afin de passer d’un système déterminé de pouvoir à un autre système politique, il faut nécessairement passer par une activité humaine d’extériorisation, c'est-à-dire par un groupe d’hommes qui désirent ensemble changer leur mode d’existence et ceci par le dépassement de l’ancien mode. C’est donc seulement par la pratique révolutionnaire qu’il peut exister un changement car l’ancienne classe sociale ne peut rationnellement oublier ses avantages et abandonner son pouvoir. Il y a alors conflit entre plusieurs classes sociales qui veulent le pouvoir et ce conflit ne peut se résoudre que par la violence et l’écrasement de la classe la plus faible. Cette écrasement ou « pratique révolutionnaire », qui précède la transformation d’un système social est, appliquée à la classe la plus nombreuse, la dictature du prolétariat.
1 Henri Guillemin, le coup du 2 décembre, Paris, Gallimard, 1951
2 Voir notre Chap.1, Partie C.2.2 « les armes de la chute du capitalisme »