« Si les auteurs socialistes assigne au prolétariat ce rôle historique […] c’est parce que, dans le prolétariat, l’homme s’est perdu lui-même, mais a acquis en même temps la conscience théorique de cette perte et, qui plus est, se voit contraint directement, par la misère désormais inéluctable, impossible à farder, absolument impérieuse – expression pratique de la nécessité – à se révolté contre cette inhumanité : c’est pour ces raisons que le prolétariat peut et doit se libérer lui-même. »
La Sainte Famille, Paris, Gallimard La Pléiade, 1982, p.460
Le système capitalisme aliène l’homme de 3 façons, comme nous venons de le voir, mais seul le prolétariat ne peut supporter sa condition d’aliéné car, comme nous l’avons vu, il est constamment anéanti par cette aliénation. C’est pour cette raison que tous les auteurs socialistes, avant Marx, ont désigné le prolétariat comme celui qui bouleversera le système bourgeois et ils ne se sont pas trompés selon Marx. D’abord, ils ne sont pas trompés car dans le prolétariat « l’homme s’est perdu lui-même ». Effectivement, comme nous l’avons vu précédemment, l’aliénation du travail touche profondément le prolétaire. Le travail qu’il effectue est dénaturé car il travaille sans objet, c'est-à-dire sans acquérir le fruit de son travail. Il a alors perdu ce qu’il le caractérisait en tant qu’homme car d’une part il travaille sans progresser techniquement (puisque l’objet de son travail ne lui appartient pas) et d’autre part car il travaille pour les mêmes raisons que « travaillent » les animaux : survivre. L’homme s’est alors complètement perdu dans le système capitaliste. Mais le prolétaire a pris conscience de cette perte car c’est lui qui la vit de plein fouet. Effectivement, comme nous l’avons vu, le travail est fui comme la peste lorsque celui-ci n’est pas nécessaire et ceci car l’homme ne se reconnaît pas dans son travail. Lorsque n’importe quel homme réalise quelque chose, il conçoit en lui une destiné pour cette chose, c'est-à-dire qu’il ne travaille jamais par hasard. C’est ainsi qu’il tire un bénéfice de son travail. Mais pour l’ouvrier, ce qu’il réalise n’a pas de but. Il réalise ce travail juste pour avoir de l’argent. Le travail est alors dénaturé pour le prolétaire car il n’a pas de but et c’est en ce sens que le prolétaire prend conscience qu’il s’est perdu. Il se rend nécessairement compte qu’il a perdu sa vie à travailler sans but. Que sa vie, elle-même n’a pas d’autre but que de survivre sans progresser. Mais plus précisément, il prend conscience qu’il a travaillé et qu’une tierce personne profite de l’objet de son travail.
Ensuite et surtout, il possède le rôle historique et nécessaire de révolutionner le capitalisme car il y est poussé par la misère. « Les prolétaire n’ont rien à sauvegarder qui leur appartienne, ils ont a détruire tout ce qui, jusqu’ici était garanti et assurances de la propriété privée. »1. Le salaire du prolétaire est nécessairement le plus bas possible et ce « plus bas possible » est synonyme de ce qu’il lui faut pour survivre. Par conséquent, le prolétaire ne peut rien posséder de superflu. Et même si le prolétaire réussi à posséder quelque chose, cela ne peut être que très nettement inférieur à la possession moyenne des autres classes de la société. Par conséquent, le prolétaire n’a rien à sauvegarder dans ce système. La misère le pousse alors à révolutionner sa condition car il n’a rien à perdre dans une révolution. Bien entendu, nous pourrions penser qu’il a tout de même sa vie à perdre mais ceci est sans considérer le fait que sa vie est déjà perdue dans l’aliénation de sa condition d’homme. Ainsi la misère additionnée au fait d’être devenu un animal fait du prolétaire un être qui doit nécessairement se révolutionner. Sa condition ne peut pas être pire et la révolution est sa seule alternative. La condition misérable du prolétaire fait que le prolétaire doit nécessairement se révolter :
« Mais pour pouvoir opprimer une classe, il faut lui assurer des conditions au sein desquelles elle puisse au moins subvenir à son existence asservie […] L’ouvrier moderne au contraire, au lieu de s’élever avec le progrès de l’industrie moderne, tombe de plus en plus au dessous des conditions de sa propre classe. L’ouvrier se transforme en indigent et le paupérisme se développe encore plus vite que la population et la richesse. Cela révèle au grand jour que la bourgeoisie est incapable de demeurer plus longtemps la classe dominante de la société et de lui imposer comme règle impérative les conditions d’existence de sa classe.
[…]Elle est incapable de régner, car elle est incapable d’assurer l’existence de son esclave même au sein de son esclavage, car elle est contrainte de la laisser déchoir à un point où elle doit le nourrir au lieu qu’il la nourrisse. La société ne peut vivre sous son régime, autrement dit l’existence de la bourgeoisie n’est plus compatible avec la société. »
Manifeste du Parti Communiste. Paris. Ed. GF Flammarion. Chap.1 p.88-89
D’abord, il est vrai que pour pouvoir opprimer une classe, tout comme pour pouvoir opprimer un homme, il faut lui assurer au moins le minimum pour qu’elle (ou qu’il) puisse vivre. D’abord car logiquement, dans la mesure où cette classe opprimée ne vit plus, il n’y a plus rien à opprimer, mais surtout car si la personne ou la classe n’a plus rien pour vivre, alors elle se révolte nécessairement par amour de la vie. Effectivement nous pouvons assurément affirmer que l’homme partage avec l’animal un certain amour de la vie. Chez l’animal, nous appelons cela l’instinct de survie. Les scientifiques ont remarqué empiriquement que n’importe quel animal faisait tout pour pouvoir vivre et ceci dans n’importe quelle condition. Il en va de même, dans une certaine mesure, chez l’homme. Cependant chez l’homme nous ne pouvons pas parler d’instinct car certains hommes préféraient mourir que vivre (et ceci pour des raisons plus ou moins diverses). Effectivement, comme le faisait déjà remarquer Aristote, chaque être vivant possède au moins le désir de vivre car sans cela il ne survivrait simplement pas du tout. Par conséquent, si l’opprimé n’a pas de quoi survivre de sa condition alors il se révoltera nécessairement, poussé par son amour de la vie.
Ensuite, dans le système capitaliste, le prolétaire n’a pas les moyens de vivre dans sa condition d’opprimé car plus la société progresse et plus il est enraciné dans sa condition. Il descend même en dessous des conditions de sa propre classe, lorsqu’il se paupérise. Dans un premier temps, le prolétaire ne progresse pas avec les progrès du capitalisme car, comme nous l’avons vu, il n’a pas accès au progrès. Les objets relevant d’un progrès ne sont pas pris en charge par son faible salaire. Effectivement, son salaire étant le plus bas possible, le prolétaire ne peut se payer que ce qui lui permet de vivre et par conséquent, il ne progresse pas avec les diverses innovations engendrées par le capitalisme. Cette situation entraîne une distance entre le prolétariat et les autres classes. Mais surtout, plus la société progresse est plus cette distance s’accentue de façon exponentielle et ce jusqu'à établir un sentiment d’injustice et de haine entre les classes, mais plus particulièrement du prolétaire envers les autres classes. Les diverses classes composant le peuple, vivent nécessairement les unes à coté des autres et par conséquent, ils ont tous un regard les uns sur les autres. Donc les prolétaires ont nécessairement conscience des distances qui s’établissent entre eux et les classes supérieures. Plus le prolétaire travaille au progrès de la société, plus il établie une distance entre les différentes classes et plus la distance est grande, plus les prolétaires en ont conscience car cette distance leur saute nécessairement aux yeux. Ainsi le prolétaire, bien que sa situation n’ait en réalité pas changé, a l’impression de régresser puisque les autres classes évoluent et pas lui. Le sentiment d’injustice est alors grandissant car le prolétariat prend conscience que ce n’est pas lui qui profite des fruits de son travail. La grogne monte alors au sein de la classe prolétaire et le conflit semble alors inévitable.
Dans un deuxième temps, le paupérisme se développe plus vite que la richesse. « Le paupérisme n’est que la situation du prolétariat ruiné, l’échelon le plus bas où descend le prolétaire désormais incapable de résister à la pression de la bourgeoisie, et où seul le prolétaire priver de toute énergie est un pauper ».2 Le pauper est donc une sous-classe du prolétariat dans laquelle l’ouvrier a perdu tout moyen de pression sur le bourgeois dans la mesure où ce dernier n’a plus besoin du prolétaire. Le pauper est alors la situation du prolétaire qui n’a plus d’emploi car il n’améliore plus le capital du bourgeois. Ainsi nous retrouvons une partie de la population qui ne peut même plus survivre et qui par conséquent n’a même plus peur de perdre son emploi. Le conflit est alors encore plus inévitable avec cette catégorie de la population qui se retrouvera systématiquement dans les diverses révoltes.
Enfin, le paupérisme se développe car « elle [la bourgeoisie] est contrainte de la laisser déchoir à un point où elle doit le nourrir au lieu qu’il la nourrisse ». La bourgeoisie se débarrasse du prolétaire qui tombe alors dans le paupérisme. La bourgeoisie est contrainte de laisser déchoir la classe du prolétariat car celui-ci empiète nécessairement sur les gains des entreprises bourgeoises. Effectivement, chaque entreprise a atteint obligatoirement un niveau de paroxysme où elle a conquis tous les marchés qu’elle pouvait envisager. Pour augmenter ses gains elle doit alors diminuer ses dépenses et sa dépense principale est le salaire des prolétaires. Elle diminue alors le salaire du prolétaire et le laisse ainsi « déchoir ». L’entreprise bourgeoise nourrissait plus le prolétaire que le contraire car le prolétaire ne faisait plus augmenter le capital de l’entreprise. Or, comme nous l’avons, il ne trouve du travail que s’il augmente le capital de la bourgeoisie. S’il ne l’augmente pas, il ne trouve pas de travail et s’il est une entrave à l’augmentation du capital, l’ouvrier est alors licencié. Cependant, nous devons remarquer que cette situation n’arrive que dans les moments de crise du capitalisme qui sont dues à la chute du taux de profit, que nous allons voir prochainement.
Le capitalisme est donc voué à l’échec car il ne peut pas subvenir aux besoins de la classe qu’il exploite, cette dernière est alors poussée nécessairement à la révolte, puis à la révolution. L’existence du capitalisme est mise en danger, comme l’était l’existence de la monarchie, car il n’est plus compatible avec la société qu’il a lui-même créée. La majorité de la population étant regroupée dans la catégorie qui doit travailler pour pouvoir vivre, si cette majorité n’a pas les moyens de survivre et même de progresser avec la société, alors elle renverse nécessairement le pouvoir.
Malgré le fait que le prolétariat soit poussé nécessairement à la révolte, il faut cependant avoir toujours à l’esprit que, comme nous l’avons déjà démontré : « Les circonstances font les hommes tout autant que les hommes font les circonstances »3. Tout reste alors à faire pour le prolétariat. Bien que les circonstances de la révolution soient favorables, la révolution ne peut se faire sans l’action des prolétaires. De plus ce sont les bourgeois eux-mêmes qui ont forgé les armes que les prolétaires porteront pour les abattre.
« Dans toutes ces luttes [ceux de la bourgeoisie] elle se voit obligée de faire appel au prolétariat, d’avoir recours à son aide et de l’entraîner ainsi dans le mouvement politique. Elle procure donc elle-même au prolétariat les linéaments de sa propre culture, c'est-à-dire des armes contre elle-même. »
Manifeste du Parti Communiste. Paris. Ed. GF Flammarion. Chap.1 p.86
Il est un fait historique que la bourgeoisie a eu besoin du prolétaire dans sa lutte contre la féodalité. La bourgeoisie devait renverser le pouvoir rassemblé des rois d’Europe. Pour se faire, elle devait regrouper une armée beaucoup plus nombreuse que celle en face d’elle. Mais la bourgeoisie ne comportait en son sein qu’une infime partie de la population. Ainsi elle devait nécessairement mettre à contribution le prolétariat pour pouvoir faire face à l’armée du roi. C’est pourquoi le prolétariat fut engagé dans le processus révolutionnaire, aux cotés de la bourgeoisie. La bourgeoisie a alors donné aux prolétaires « les linéaments de sa propre culture ». Il faut comprendre par linéaments une simple ébauche de la culture révolutionnaire bourgeoise, c'est-à-dire seulement une vue d’ensemble. Ces linéaments sont les armes qui vont se retourner contre la bourgeoisie. Voici une partie ces armes :
« La bourgeoisie se rendait parfaitement compte que toutes les armes qu’elle avait forgées contre le féodalisme se retournaient contre elle-même, que les moyens culturels qu’elle avait produit se révoltaient contre sa propre civilisation, que tous les dieux qu’elle avait créés l’avaient abandonnée. Elle comprit que toutes les prétendues libertés bourgeoises et tous les prétendus organes de progrès attaquaient et menaçaient sa domination de classe à la fois dans ses fondements sociaux et à son sommet politique, et étaient, par conséquent, devenus « socialistes ». »
Le 18 Brunemaire de louis Bonaparte, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994 Chap.4 p.480
Parmi les moyens culturels que la bourgeoisie avait mis à contribution dans son processus révolutionnaire, le principal pouvoir qui se retournera contre elle est la politique. Effectivement, la bourgeoisie a dû mettre en place une formidable organisation politique de regroupement de la population. Pour pouvoir convaincre le prolétariat de se rallier à sa cause, il a fallu d’abord organiser un parti, puis des petites sections de ce parti dans les différentes provinces et enfin aller faire de la propagande dans les différents milieux prolétariens. Une telle culture politique mise au profit du prolétariat peut lui permettre de réaliser une nouvelle révolution. Effectivement, une révolution est, par définition, un changement brusque de système politique qui se produit lorsqu’un groupe se révolte contre le pouvoir en place. Mais le pouvoir ayant de larges moyens pour se défendre, le groupe des révoltés doit être alors le plus grand possible. Or pour pouvoir former un groupe, il faut pouvoir rassembler les gens. La bourgeoisie a donné aux prolétaires les moyens et les techniques pour se rassembler et c’est en ce sens qu’elle a donné les armes qui se retourneront contre elle-même. Ensuite, le second moyen culturel produit par la société bourgeoise qui se retournera contre elle-même est le développement des moyens de communication et de transport. Effectivement là où la bourgeoisie a dû mettre des années pour rassembler des personnes pour une révolution, le prolétariat pourra l’accomplir beaucoup plus vite. Les différentes sections du parti du prolétariat peuvent se mettre en relation et se regrouper beaucoup plus rapidement. Les différents progrès techniques qui sont issus du développement de la bourgeoisie sont directement utilisés au profit d’une révolution prolétarienne. Le train permet de rassembler beaucoup plus de prolétaires des différentes régions et le téléphone et le courrier permet de s’organiser et donc d’agir beaucoup plus rapidement puisque les différents groupes sont toujours en communication. Mais nous pourrions aussi parler de la liberté de la presse, qui permet au parti du prolétariat d’organiser de vastes campagnes de propagande, ainsi que la liberté d’association, directement issue de la domination de la classe bourgeoise, qui permet aux différents ouvriers de s’organiser en divers groupes syndicaux. Par conséquent c’est la bourgeoisie, elle-même, qui a forgée les armés qui l’abattront. Nous aurons encore plus conscience de ce fait dans la prochaine partie sur le développement révolutionnaire du prolétariat.
Ainsi, les libertés bourgeoises et les progrès techniques qu’elle avait engendrés se retournent directement contre elle. Ce qui avait servi à faire une révolution contre le régime monarchique, peut maintenant être utilisé contre la classe bourgeoise. De plus, comme la bourgeoisie a dû former la classe prolétarienne à la révolution, contre la monarchie, cette derrière connaît alors parfaitement le processus révolutionnaire à suivre contre le classe bourgeoise. Nous devons cependant faire remarquer que Marx écrit ceci juste après les diverses révolutions bourgeoises et il pense sincèrement que le prolétariat à la maturité nécessaire pour renverser le pouvoir dans tous les pays d’Europe. Pour une réflexion plus contemporaine, il faut bannir l’argument sur la « formation » révolutionnaire par la bourgeoisie sans pour autant nier que les progrès culturels qu’elle a engendrés peuvent se retourner contre elle. De plus nous devons remarquer que la révolution se déclenche toujours par un élément favorable à elle. Cet élément est nécessairement le moment où la classe dominante est le plus faible possible, c'est-à-dire pendant les crises économiques. Ces crises sont dues à une seule et même cause selon Marx : La chute du taux de profit
1 Manifeste du Parti Communiste. Paris. Ed. GF Flammarion. Chap.1 p.87
2 Idéologie Allemande, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1982, concile de Leipzip, p.1171
3 Idéologie Allemande, Paris Nathan, 2007, Feuerbach p.64
« Dans la mesure où se développe la bourgeoisie, c'est-à-dire le capital, se développe le prolétariat, la classe des ouvriers modernes qui ne vivent que tant qu’ils trouvent du travail et qui n’en trouvent que tant que leur travail augmente le capital. »
Manifeste du Parti Communiste. Paris. Ed. GF Flammarion. Chap. 1, p.81-82
Le prolétariat naît avec la naissance de la bourgeoisie comme classe dominante de la société. Effectivement, les bourgeois, rappelons le, sont ceux qui possèdent les moyens de production et par conséquent tous ceux qui ne possèdent pas de moyen de production n’ont aucun moyen de vivre. Effectivement les moyens de production sont l’ensemble des éléments qui permettent à la société de vivre des matières premières (transformées ou non) de la nature. Donc celui qui ne possède aucun moyen de production, ne possède donc, par définition, aucun moyen de vivre. Le prolétaire est alors celui qui ne peut vivre qu’en vendant sa force de travail car il ne possède pas de moyen de production. Il se développe alors aussi vite que se développe la bourgeoisie car pour faire fonctionner les moyens de production, la classe dominante a besoin de main d’œuvre : les prolétaires. Les prolétaires se développent que si les entreprises se développent car les entreprises emploient des hommes que si elles peuvent augmenter leur production et leur bénéfice final. L’entreprise qui produit un certain nombre objets a besoin d’un certain nombre d’ouvriers pour produire ces objets. Elle fait donc vivre ce certain nombre d’ouvriers, mais si elle se développe et donc est capable de vendre et de produire deux fois plus d’objets que précédemment, elle doit donc avoir deux fois plus d’ouvriers et donc elle fait vivre deux fois plus de prolétaires. Par conséquent le prolétariat se développe proportionnellement au développement de l’entreprise car si le prolétariat ne travail pas, il ne survit pas. Mais si l’entreprise n’est pas capable de vendre deux fois plus d’objets, alors elle n’emploie pas plus d’ouvriers et de même si l’entreprise ne vend pas les objets qu’elle produit, elle devra alors diminuer son nombre d’ouvriers. C’est pourquoi le nombre de prolétaires est proportionnel au capital qu’ils peuvent apporter à l’entreprise. Cependant, les bourgeois ont autant besoin des prolétaires, que les prolétaires ont besoin des bourgeois car les bourgeois ne peuvent pas faire fonctionner un moyen de production sans mains d’œuvre. Par conséquent, il n’est pas logique que le prolétaire soit exploité car l’un ayant besoin de l’autre et réciproquement, les bénéfices du travail devraient être partagé équitablement car sans cela un accord n’est pas possible. Ainsi :
« Le salaire est déterminé par la lutte âpre entre capitaliste et ouvrier. La victoire appartient nécessairement au capitaliste [car] le capitaliste peut vivre plus longtemps sans l’ouvrier que l’ouvrier sans le capitaliste. »
Manuscrit de 1844, Paris GF Flammarion, 1996, Premier Manuscrit, p.55
Si un accord entre les prolétaires et les bourgeois n’est pas possible, alors les prolétaires ne peuvent pas vivre. Effectivement les prolétaires n’ont pour seul moyen de vivre que le travail. S’ils ne peuvent pas travailler, alors ils ne peuvent pas vivre. Tandis que pour les bourgeois, si les prolétaires ne veulent pas travailler, soit ils en emploient qui veulent bien travailler, soit (dans l’hypothèse où tous les prolétaires en masse ne veulent plus travailler) ils vendent leurs différents capitaux, notamment leurs propriétés ou seulement une partie. Autrement dit, sans un accord l’une des parties se retrouve sans aucun moyen de vivre, tandis que l’autre possède toujours une source de revenu, bien que limitée. Bien entendu, les deux parties ont pour intérêt de trouver un accord, mais la classe bourgeoise possède plus de moyens de pression que la classe prolétaire. C’est pourquoi ce sont les bourgeois qui fixent les prix des salaires des prolétaires et ceci est nécessairement, comme nous l’avons vu précédemment, le plus bas possible. De ce salaire et du travail aliéné va naître le statut du prolétariat dans la société libérale.
« Il apparaît alors une classe qui doit supporter toutes les charges de la société sans jouir de ses avantages. Expulsée de la société, cette classe se trouve reléguée dans une opposition radicale avec toutes les autres classes. »
Idéologie Allemande Paris Nathan, 2007. Feuerbach, p.62
Le statut de la classe du prolétariat apparaît avec la nécessité qui contraint le capitaliste à fixer le salaire le plus bas possible car le prolétaire se retrouve nécessairement dans une misère extrême. Le salaire que le prolétaire reçoit est alors celui qui lui permet juste de survivre. Le prolétaire ne peut alors pas jouir des avantages d’une société capitaliste. Les avantages (les innovations, la baisse des prix et la multiplicité des produits) ne sont pas accessibles au prolétaire car c’est lui-même qui les a engendrés. Le prolétaire confectionne un produit quelconque et reçoit un salaire en échange, puis ce produit se retrouve sur le marché beaucoup plus cher que ce que le prolétaire a reçu pour le fabriquer. Sans cela le capitaliste ne réalise aucun profit donc logiquement le prolétaire ne peut pas bénéficier de ce qu’il a lui-même élaboré. Plus précisément la classe du prolétariat ne peut pas bénéficier de tous les avantages que les prolétaires, en général, ont produits. Il se trouve alors dans une opposition radicale avec les autres classes car les autres classes peuvent bénéficier des avantages du capitalisme. Tandis que les autres classes progressent dans l’histoire grâce aux innovations du capitalisme, le prolétaire lui reste dans une situation pré-capitaliste, autrement dit féodale. Il est donc expulsé de la société capitaliste. Il y a alors une fracture qui s’opère entre le prolétariat et les autres classes de la société. L’environnement dans lequel les deux classes évoluent ne sont pas les mêmes. La classe du prolétariat est alors exclue de la société. Ce sont ces hommes qui créent les circonstances car l’environnement dans lequel se débat le prolétaire est dicté par la classe possédante, comme nous l’avons vu précédemment. Mais surtout ce sont les circonstances qui font les hommes car l’homme ne peut agir que dans un domaine particulier, c'est-à-dire qu’il agit toujours dans un contexte car c’est le contexte qui définit les différentes possibilités que l’homme peut prendre. Effectivement le contexte est l’ensemble des éléments qui entourent une action. Une action est veine sans contexte car elle n’aurait alors aucun impact sur des éléments extérieurs. Par conséquent si les contextes sont différents, les hommes sont eux aussi différents. Or ici les contextes sont symétriquement opposés : le prolétariat est celui qui conçoit les produits que les autres classes consomment et dont il ne peut profiter. Donc la classe prolétarienne est nécessairement opposée aux autres classes car elles vivent dans des contextes opposés.
Maintenant que nous avons vu le statut général du prolétariat, nous sommes à même de nous demander quelle couche de la population tombe dans cette catégorie. S’il faut entendre par prolétaire tout ceux qui sont obligés de travailler pour pouvoir vivre alors la quasi-totalité de la population ne se retrouve-t-elle pas dans le prolétariat ?
« Les anciennes petites classes moyennes, petits industriels, petits commerçants, petits rentiers, artisans et paysans, toutes ces classes tombent dans le prolétariat, soit que leur petit capital ne suffit pas pour pratiquer la grande industrie et succombe à la concurrence des capitalistes, mieux pourvus, soit que leur habilité soit dépassée par des méthodes de production nouvelles. Aussi le prolétariat se recrute-t-il dans toutes les classes de la population. »
Manifeste du Parti Communiste. Paris. Ed. GF Flammarion. Chap. 1, p.83
Effectivement, comme le montre ce passage de Marx, la plupart de la population tombe dans le prolétariat avec l’ère capitaliste. Cependant nous devons remarquer que Marx parle de recrutement. « Les anciennes petites classes moyennes, petits industriels, petits commerçants, petits rentiers » tombent dans le prolétariat car ils succombent à la concurrence des grandes industries. Les entreprises qui avaient le plus de capitaux ont pu agrandir leurs industries et ont ainsi non seulement pu couvrir un plus grand espace de vente (et entrer ainsi en concurrence avec plus de monde) mais aussi faire baisser considérablement leurs prix de vente en produisant plus de produits. Selon la loi de l’offre et de la demande, s’il y a plus d’objets à disposition que de demande, alors les prix baissent. Or les nouvelles industries, produisant en masse, ont fait nécessairement chuter les prix de la marchandise. Les petites classes moyennes et les petits industriels, etc. ont dû, dans un premier temps, baisser eux aussi leurs prix pour être concurrentiels, mais au bout dû compte, ils ont dut fermer leurs portes. Ils ne pouvaient pas rivaliser avec les grandes industries qui se retrouvaient financièrement grâce au nombre de leurs produits vendus. Si une grande industrie produit et vend cent objets à un euro, elle gagne plus d’argent qu’une petite industrie qui ne peut produire et donc ne vend que dix objets à un euro. Donc elle est obligée d’augmenter ses prix pour pouvoir vivre, mais dans ce cas, elle n’est plus concurrentielle. Les anciennes petites classes moyennes, petits industriels, etc. se sont alors retrouver dans le prolétariat car ils ont perdu, à cause de la concurrence, leur moyen de production.
Les « artisans et paysans » tombent aussi nécessairement dans le prolétariat car leurs méthodes de travail et leur habilité sont dépassées dans des méthodes de production nouvelles. Grâce à la division du travail, au lieu qu’un seul artisan réalise à lui seul toutes les étapes de la production d’un meuble, plusieurs ouvriers s’occupent et se perfectionnent dans une seule étape de production. Chaque ouvrier devient alors nécessairement plus parfait dans son domaine que l’artisan dans les différents domaines. De plus les ouvriers peuvent produire plus de meubles que l’artisan. Le petit artisan se fait aussi dépasser par la concurrence. Ensuite les diverses industries vont inventer au fur et à mesure des machines qui vont remplacer de plus en plus les savoir-faire des multiples artisans. C’est ainsi que les artisans tombent dans le prolétariat, car ils perdent leur moyen de production. Il en va de même pour les paysans qui se font dépasser par les industries qui peuvent se permettent de développer et de profiter de machines (tracteurs, moissonneuses batteuses, etc.). Ceci dans l’objectif de remplacer le travail des hommes et avoir des rendements plus grands. Grâce à leurs grands rendements, ils font baisser les prix et donc ruinent les petits paysans selon la même méthode développée précédemment. Les paysans se retrouvent alors dans le prolétariat.
Cependant ce ne sont que des corps de métier qui se « recrutent » dans prolétariat car ils ne sont pas d'ambler dans le prolétariat et ne trouvent pas toujours des avantages dans le communisme. Effectivement, bien qu’ils ne possèdent plus les moyens de production, ces divers corps de métier possèdent tous une certaine qualification ou du moins les moyens d’en acquérir une. Ainsi, ils peuvent exiger devant les capitalistes un salaire plus grand qu’un simple ouvrier et donc devenir, ce que nous appelons de nos jours, la classe moyenne. La classe moyenne est un ensemble de la population qui est au dessus des pauvres et en dessus de la classe dominante. Ils ne font pas parti directement du prolétariat même s’ils partagent un certain nombre de points avec le prolétariat, notamment l’aliénation que nous allons développer prochainement, mais grâce à leurs revenus plus élevés, ils peuvent profiter des avantages du capitalisme et donc se complaire dans cette aliénation. Mais nous verrons plus tard de quel type d’aliénation nous parlons et pourquoi les classes moyennes et bourgeoises se complaisent dans celle-ci. Approfondissons d’abord le statut du prolétariat
« Le prolétaire ne possède rien, ses rapports avec femme et enfants n’ont plus rien de commun avec les rapports familiaux bourgeois ; le travail industriel moderne, l’asservissement moderne du capital […] l’a dépouillé de tout caractère national. Les lois, la morale, la religion sont pour lui tout autant de préjugés bourgeoise, derrière lesquels se cachent tout autant l’intérêt bourgeois.
[…]Les prolétaire n’ont rien à sauvegarder qui leur appartienne, ils ont a détruire tout ce qui, jusqu’ici était garanties et assurances de la propriété privée. »
Manifeste du Parti Communiste. Paris. Ed. GF Flammarion. Chap. 1, p.87
Le prolétaire est donc réellement celui qui ne possède pas de propriété et ne profite d’aucun avantage de la société capitaliste. Nous pouvons déjà ici deviner les raisons de la chute nécessaire du capitalisme. Le prolétaire ne possède rien, c'est-à-dire que le prolétaire, ne pouvant pas acheter une maison à cause de son faible salaire, doit alors vivre dans les maisons d’un propriétaire, qui est en général le propriétaire de l’industrie où ils travaillent. Nous appelons cela du paternalisme, c'est-à-dire l’attitude autoritaire et bienveillante d’une industrie envers ces ouvriers. De plus, comme nous venons de la voir, il ne peut pas consommer comme les autres classes sociales. Ses rapports avec femme et enfants n’ont plus rien de commun avec les rapports familiaux bourgeois car c’est une famille qui est dans une logique de survie. Les femmes et les enfants sont obligés d’aller travailler (jusqu’à l’année 1958 et la loi de l’interdiction du travail des enfants) pour pouvoir faire vivre le foyer. Dans une famille bourgeoise, la femme s’occupe des enfants pour les éduquer le mieux possible et pour ainsi en faire des êtres relativement intelligents et cultivés. Dans la classe du prolétariat, l’enfant n’est rien de plus qu’un ouvrier comme les autres. Le prolétariat n’a pas de caractère national car ils ne possèdent plus la spécificité unique à son pays. Le prolétariat français est comme le prolétariat anglais qui est lui-même comme le prolétariat allemand. Ils vivent tous dans les mêmes conditions, qui sont celles du travail industriel, et avec les mêmes aliénations. La loi, la morale et la religion sont autant de préjugés bourgeois car ils ne trouvent en eux aucun moyen de sortir de leur situation. La loi, la morale et la religion ne sont en aucun cas en contradiction avec le capitalisme et même, pour certaines, elles sont en total accord avec le capitalisme. D’ailleurs nous avons vu précédemment comment les droits fondamentaux sont avant tout des droits au capitalisme économique. Ainsi le prolétariat, ne croit plus en la loi, la morale ou la religion car elles sont soit la cause de leur situation, soit elles ne lui permettent pas d’en sortir. Les prolétaires n’ont alors rien à sauvegarder car, d’abord, ils ne profitent pas des avantages du capitalisme, ensuite car ils ne peuvent rien posséder et enfin car il n’y a rien dans le système actuel qui ne lui permette de sortir de sa situation d’aliénation totale. Le prolétaire se définit alors comme étant l’être qui doit travailler pour vivre dans aliénation totale du système capitaliste et ce sans aucun profit. Mais nous n’avons cessé de parler d’aliénation dans ce passage, sans pour autant définir ce terme. Nous devons alors maintenant développer ce point.
C1.2 Les différents types d’aliénation de la société capitaliste
L’aliénation est, par définition, l’état dans lequel se trouve un individu dépossédé de lui-même par la soumission de son existence à un ordre des choses auquel il participe mais qui le domine. Ainsi l’aliénation du prolétaire est dans l’existence même d’être « prolétaire » dans la mesure où il est contraint par le système capitaliste de vendre sa force de travail pour vivre. L’ordre des choses auquel il participe et qui le domine est le système capitaliste lui même car il est contraint d’y participer. Nous allons voir maintenant, dans quelles mesures, l’ouvrier est dépossédé de lui-même par le système capitaliste.
« L’objet que le travail produit, son produit, se dresse devant lui comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur. Le produit du travail est le travail qui est fixé, matérialisé dans un objet, il est l’objectivation du travail. La réalisation du travail est son objectivation. Dans le monde de l’économie politique, cette réalisation du travail apparaît comme la perte pour l’ouvrier de sa réalité, l’objectivation comme la perte de l’objet ou l’asservissement à celui-ci, l’appropriation comme l’aliénation, de dessaisissement. […] L’ouvrier se trouve devant le produit de son propre travail dans le même rapport qu’à l’égard d’un objet étranger. S’il en est ainsi, il est évident que, plus l’ouvrier se dépense au travail, plus le monde étranger, objectif qu’il crée en face de lui devient puissant, plus il s’appauvrit lui-même et plus son monde intérieur devient pauvre, moins il possède en propre. »
Manuscrit de 1844, Paris GF Flammarion, 1996, Premier Manifeste, p.109
D’abord, l’aliénation du prolétaire se retrouve dans l’objet même de son travail. L’objet du travail se dresse devant l’ouvrier car son travail est matérialisé dans son objet. Son objet est alors transformé en marchandise, c'est-à-dire qu’il est déterminé à être un support à une forme d’échange. Le travail est l’activité, propre aux hommes, de transformation de la nature qui les met en relation et qui est producteur de valeur. Le travail est l’activité de la transformation de la nature, dans la mesure où tout objet est issu d’une matière première transformée. Donc le travail en tant qu’activité est directement lié à celui qui le pratique. Celui qui pratique le travail est donc logiquement celui qui tire une valeur de son travail. Or dans le système industriel, le produit du travail est dépossédé de celui qui le travaille. Un ouvrier qui transforme de la matière en objet est logiquement celui qui pratique l’activité de travailler et donc, selon la définition du travail, il doit alors tirer une valeur de cet objet. Dans le système industriel, l’ouvrier reçoit un salaire qui n’est aucunement en relation avec l’objet qu’il travaille. D’ailleurs, il est facile de remarquer qu’empiriquement, l’ouvrier, d’une même fabrique d’automobile (par exemple) est payé le même prix qu’il fabrique des voitures de hautes gammes ou de bas de gammes. La valeur du travail de l’ouvrier n’est donc pas en relation avec l’objet du travail. Le travail est alors matérialisé dans sa production car la valeur du travail est enfermée dans l’objet et ce n’est pas son créateur qui va en profiter mais une autre personne. Ainsi l’ouvrier est dépossédé d’une partie de lui-même : son propre travail. L’objet que le travail produit se dresse devant l’ouvrier comme un objet étranger car cet objet est dépossédé de son créateur et ceci car il n’y a plus aucune relation qui lie le travail à l’objet du travail. L’ouvrier voit sa création comme étrangère car ce n’est pas de son objet de travail qu’il tire une valeur. Si celui qui travaille ne tire aucun profit de son travail, mais que c’est quelqu’un d’extérieur au travail qui en tire profit, alors « la réalisation du travail est son objectivation » car l’objectivation du travail est l’action même de reporter l’objet à une réalité extérieure.
Ensuite, cette réalisation du travail apparaît pour l’ouvrier comme la perte de sa réalité, dans la mesure où il perd l’objet de son travail. Effectivement, le travail est en parti le fait d’en tirer une certaine valeur, le prolétaire, ne tirant aucune valeur de son travail, est sorti de sa condition d’homme. Ceci car l’homme se caractérise entre autre par son travail. L’ouvrier perd son objet et un autre se l’approprie puisque c’est une autre personne qui tire profit de son travail. L’ouvrier travaille pour un salaire et en échange il produit un objet dont il ne tirera aucune valeur. Le profit du travail est reporté à une réalité extérieure et ceci entraîne nécessairement la perte de l’objet pour l’ouvrier. Pour l’ouvrier, le but du travail n’est alors plus la finalité du travail mais le salaire qu’il reçoit en échange. Le prolétaire travaille comme une machine car il n’a plus de raison pour réaliser son travail, dans la mesure où le but de l’ouvrier n’est pas la finalité du travail. Il produit sans raison. L’ouvrier travaille alors sans avoir de raison a priori de faire ce qu’il fait. La motivation réelle de l’ouvrier est de vivre mais l’objet de son travail ne lui permettra pas de vivre à proprement dit. L’objet du travail et donc la finalité du travail n’est qu’un moyen pour obtenir un autre objet : l’argent. La raison de sa survie est dans autre chose que le travail en et pour soi. Sa survie repose dans le principe même d’aliénation du travail. Si l’ouvrier accepte de se séparer de l’objet issu de son travail, autrement dit s’il accepte de s’aliéner, alors il peut survivre en recevant, en échange, un salaire. C’est pourquoi Marx peut affirmer que « l’objectivation comme la perte de l’objet ou l’asservissement à celui-ci, l’appropriation comme l’aliénation, de dessaisissement. ».
Enfin nous venons de voir que l’ouvrier est devant son objet de travail comme devant un objet étranger car la finalité de son travail n’est pas la raison du travail. Ainsi logiquement, nous devons accepter le fait que plus l’ouvrier travaille et plus le monde devient pour lui étranger et puissant. L’ouvrier crée, par cette méthode de travail aliéné, un monde entièrement étranger. Tous les objets, issus du travail ouvrier, sont sans créateur et en ce sens ils sont donc étrangers pour tout le monde. Tous les objets issus du travail ouvrier sont tous sans relation au monde car personne n’a travaillé pour les avoir. Le travail est donc aliéné car il est sorti de son essence. Avec les grands rendements permis par l’industrie, plus l’ouvrier travaille et plus le monde extérieur devient étranger et puissant car plus les industries inondent le monde d’objets étrangers. D’ailleurs aujourd’hui, où tous les objets qui nous entourent sont issus des industries, la majorité des choses qui nous entourent nous sont étrangères car elles ne sont pas issues de notre travail. De plus, plus l’ouvrier travaille et plus il s’appauvrit lui-même car en inondant le monde d’objets étrangers, le travail réel disparaît et l’ouvrier ne connaît de moins en moins le travail réel. Le travail réel disparaît dans la mesure où il est plus facile de posséder un objet étranger qu’un objet issu de notre travail. Le monde intérieur de l’ouvrier devient pauvre car la vie perd de sa saveur dans la mesure où ce qu’il réalise par son travail ne contribue pas à sa vie. Le travail devient déconnecté à la vie. L’ouvrier possède de moins en moins en propre car plus il y a d’objets étrangers sur le marché et moins l’ouvrier travaille, c'est-à-dire moins l’ouvrier réalise des objets dont il tirera réellement profit.
L’ouvrier est alors aliéné par le produit même de son aliénation car il ne tire aucune valeur de l’objet qu’il fabrique. Son objet devient alors étranger pour lui. Mais nous allons voir que non seulement le produit de son travail l’aliène, mais qu’il y a aussi une relation de proportionnalité dans l’aliénation.
« L’aliénation de l’ouvrier dans son objet s’exprime selon les lois de l’économique, de la façon suivante : plus l’ouvrier produit, moins il a à consommer ; plus il crée de valeur, plus il se déprécie et plus l’ouvrier se déforme ; plus son objet est civilisé, plus l’ouvrier est impuissant ; plus l’ouvrier s’est abruti et est devenu un esclave de la nature. »
Manuscrit de 1844, Paris GF Flammarion, 1996, Premier Manuscrit p.111
Avant de commenter ce passage nous devons remarquer le style littéraire établi ici par Marx en employant systématiquement les deux qualifications opposées entre le produit de l’ouvrier et l’ouvrier lui-même. Ceci a pour objectif d’insister sur le fait que dans le système capitaliste, il y a une relation de proportionnalité dans l’aliénation de l’ouvrier et son produit. Ainsi plus il y a de produits et moins l’ouvrier en possède, plus le produit a de la valeur et moins l’ouvrier en a et plus le produit est civilisé et moins l’ouvrier le devient.
D’abord, comme l’affirme Marx : « plus l’ouvrier produit, moins il a à consommer », car plus l’ouvrier produit d’objets et moins il ne possède d’objets et donc moins il a à consommer. Le prolétaire travaille en règle générale dans une « usine », c'est-à-dire un établissement où sont transformées les matières premières en marchandises. Il ne récolte aucun fruit de son travail, comme nous l’avons vu. C'est-à-dire qu’il travaille sans posséder l’objet qu’il a produit. Donc plus l’ouvrier produit et moins il ne possède d’objets et donc moins il a à consommer. Effectivement, l’ouvrier dans une usine ne possède pas l’objet qu’il fabrique et donc il n’a rien à consommer à l’issue de son travail. Plus l’ouvrier produit d’objets, plus il passe du temps à s’aliéner et par conséquent moins il lui reste de temps pour produire quelque chose qu’il peut posséder. Pour pouvoir le consommer, il faut alors pouvoir l’acheter. Mais son faible salaire lui permet à peine de survivre. De plus, plus l’ouvrier produit d’objets étrangers dans le monde et moins il possède d’objets issus de son travail car il est plus facile d’acheter avec son salaire que de le fabriquer par le travail (à cause de la chute des prix).
Ensuite, « plus l’ouvrier crée de valeur et plus il se déprécie et plus l’ouvrier se déforme ». L’ouvrier, en travaillant, crée de la valeur, c'est-à-dire qu’il produit un objet pour son entreprise et cette entreprise va tirer profit de cet objet en en obtenant une certaine valeur. L’ouvrier est donc producteur de valeur pour son entreprise. Plus l’ouvrier crée de la valeur pour son entreprise et moins il ne possède de valeur et plus il se déforme et ceci car il perd l’un des critères qui fait de lui un homme, c'est-à-dire le travail. Effectivement le travail étant le fait de produire un objet et d’en tirer une valeur, l’ouvrier ne tire aucune valeur de son travail et de ce fait il devient une machine. Ainsi l’ouvrier se déforme et perd sa valeur d’homme car il se rapproche de plus en plus d’une simple machine. Mais nous allons développer plus profondément ce point dans une prochaine partie.
Enfin, « plus son objet est civilisé, plus l’ouvrier est impuissant » car l’ouvrier par le biais de la course à l’innovation, que nous avons vu précédemment dans les avantages du capitalisme, produit des objets de plus en plus modernes. Des objets qu’il travaille et qu’il ne peut pas posséder car son salaire, qui lui permet à peine de survivre, ne lui permet pas de les acquérir. Les objets civilisés sont ici les objets comportant une certaine technique pour facilité la vie des acheteurs et combler leurs désirs superflus. Effectivement cet adjectif qualificatif (« civilisé ») permet de montrer que l’ouvrier produit des objets qui portent la société à un niveau plus élevé et évolué. Ces objets ont donc un prix élevé car ils ont fait appel à de la recherche, pour l’innovation, et à de nouvelles machines, pour la réalisation. Les dépenses de production se répercutent alors sur le prix d’achat. De plus, étant des objets nouveaux, ils ont nécessairement un prix élevé car la demande ne peut que dépasser la production, dans un premier temps. Mais le salaire de l’ouvrier, étant nécessairement le plus bas possible, ne permet pas d’acquérir de tels objets. La survie de l’ouvrier se limite aux besoins vitaux, c'est-à-dire un toit, de la nourriture, des vêtements, etc. Et si l’ouvrier peut s’acheter d’autres choses, il ne pourra jamais être à la pointe de la « civilisation ». Par conséquent, plus il produit d’objets civilisés et plus l’ouvrier se détache de la société. C’est en ce sens qu’il est impuissant et qu’il est devenu « esclave de la nature ». Celui qui n’est pas civilisé est par définition celui qui n’a pas évolué et qui n’a pas progressé. Autrement dit, un homme non civilisé est un homme qui est resté à un stade primaire. Or le stade primaire de l’homme est l’homme à l’état naturel. L’homme proche de la nature. L’ouvrier est esclave de la nature car non seulement il n’a pas accès à la civilisation, comme nous venons de le voir, mais aussi car il ne peut posséder que ce que les animaux ont accès : dormir, boire et manger. Il est enfin esclave de la nature car sa condition d’homme le contraint à rester un ouvrier puisqu’il est contraint de travailler pour vivre.
L’ouvrier est donc d’abord aliéné par son produit de part la nature de son travail. Plus le produit de travail de l’ouvrier est aliéné et plus l’ouvrier lui-même est aliéné. Mais cette aliénation n’est pas la seule à laquelle l’ouvrier doit se confronter. L’ouvrier est aussi aliéné dans l’acte même
« Le travail est extérieur à l’ouvrier, c'est-à-dire qu’il n’appartient pas à son essence que donc, dans son travail, l’ouvrier se s’affirme pas, mais se nie. […] Il est a l’aise quand il ne travail pas et, quand il travail, il ne se sent pas à l’aise. Son travail n’est donc pas volontaire mais contraint, c’est du travail forcé. […] Dés qu’il n’existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste. »
Manuscrit de 1844, Paris GF Flammarion, 1996, Premier Manuscrit, p.112
D’abord le travail n’est pas seulement la transformation de la nature en objet. Dans le cas contraire les animaux pourraient alors aussi réaliser du travail. Le travail s’impose en parti aux hommes comme étant un moyen de survivre. Effectivement sans travail, c'est-à-dire sans transformation de la nature, l’homme ne peut pas survivre. Même les animaux doivent transformer la nature pour survivre, que ce soit en réalisant un nid, un terrier ou encore définir des territoires. L’homme travail donc à première vue pour survivre, comme les animaux. Mais ce qui différencie le travail de l’homme du « travail » des animaux, c’est la technique. L’homme utilise diverses techniques dans le travail et ceci non seulement pour sa survie, mais aussi parce que le travail fait parti d’une spécificité humaine et d’une des caractéristiques majeures de l’homme. Effectivement, si l’homme ne travaillait que pour vivre, alors il n’aurait pas réalisé la majorité des choses que nous connaissons aujourd’hui. Son travail ne relève plus de la simple survie, mais de ce qu’on pourrait appeler du confort de vie et même parfois du pur loisir (sculpture, peinture, jardinage, etc.). Si le travail ne servait que pour la survie de l’homme, alors il serait resté à l’état d’animal, c'est-à-dire relativement proche de la période préhistorique. Or le prolétaire est par définition celui qui est contraint de travailler pour vivre. Par conséquent, le travail du prolétaire est dénaturé et aliéné car il est sorti de son concept. Le prolétaire, par définition, travaille pour sa survie. Par conséquent son travail est aliéné. L’ouvrier ne s’affirme pas dans son travail mais se nie car son travail nie la principale caractéristique du travail de l’homme : la technique. L’ouvrier ne travaille pas pour améliorer sa condition en inventant une nouvelle technologie, mais il travaille uniquement pour sa survie, comme un animal. Par conséquent il nie sa nature humaine. La preuve en est dans les faits puisque : « Il est a l’aise quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il ne se sent pas à l’aise. » S’il n’est pas à l’aise c’est parce que l’ouvrier nie sa propre nature.
Ensuite nous ne pouvons que confirmer que son travail est contraint et forcé car il n’y a aucune raison qui pousserait un homme à se nier lui-même. L’homme, comme n’importe quel animal, a une nature à toujours se porter vers ce qui est bon pour lui, c'est-à-dire ce qui comble ses désirs. Si ce travail ne lui apporte rien ou ne lui apporte que des désagréments alors ce travail ne peut être que fui. Si l’ouvrier n’est pas à l’aise dans son travail et si son travail nie sa condition d’homme alors l’ouvrier fuit logiquement le travail. La seule raison qui le pousse à travailler est le fait qu’il y soit contraint. Puisque le prolétaire doit travailler pour vivre, il est alors contraint de travailler. Le travail de prolétaire et le travail dans la société capitaliste n’existent que par la contrainte. L’ouvrier est donc aliéné dans l’acte même de travailler car son travail est dénaturé et il nie la condition de l’homme. Ce travail est extérieur au travail que réalisent les hommes conformément à leur nature, car ce travail ne permet pas à celui qui le réalise de progresser. C’est pourquoi ce travail est contraint et non volontaire.
Ainsi Marx affirme que pour l’ouvrier « ce qui est animal devient humain et ce qui est humain devient animal »1. Ce qui est animal devient humain car ce qui est typiquement animal est de manger, dormir et se reproduire, et ce sont les choses qui attirent le plus le prolétaire parce que le travail (qui est typiquement humain) est fuit, à cause de la dimension inhumaine que lui fait prendre de capitalisme. Et ce qui est humain devient animal car L’animal lui ne « travaille », c'est-à-dire réalise des activités de transformation de la nature, que pour survivre, comme l’ouvrier. Mais le travail est une activité typiquement humaine car il sert essentiellement à faire progresser techniquement l’homme. Chose que l’ouvrier ne réalise plus dans son travail.
L’aliénation de l’ouvrier se trouve alors aussi dans l’acte même de son travail. Non seulement il est aliéné par le produit de son travail, mais il est aliéné aussi par l’acte même de travailler. Le travail dans la société capitaliste est dénaturé. Il est sorti de son essence. Mais le prolétaire est encore sujet à une aliénation qui le transforme dans son essence même, cette aliénation est l’aliénation de l’homme générique
« La vie générique, aussi bien chez l’homme que chez l’animal, consiste d’abord, au point de vue physique, dans le fait que l’homme (comme l’animal) vit de la nature non organique ; et plus l’homme est universel comparé à l’animal, plus est universel le champ de la nature non organique dont il vit. […] Tandis le travail aliéné rend étrangers à l’homme 1/ la nature et 2/ lui-même, sa propre fonction active, son activité vitale, il rend aussi l’humaine étrangère à l’homme : il fait pour lui de la vie générique le moyen de la vie individuelle. Premièrement, il rend étrangères la vie générique et la vie individuelle et deuxièmement, il fait de cette dernière réduite à l’abstraction, le but de la première, qui est également prise sous forme abstraite et aliénée. »
Manuscrit de 1844, Paris, GF Flammarion, 1996, Premier Manuscrit, p.114
D’abord, la vie organique est ce qui est relatif aux tissus vivants, aux organes et aux êtres organisés (c'est-à-dire pourvu d’organes). Par conséquent la vie générique est relative à la vie de l’homme ou de l’animal qui ne vit pas des autres êtres vivants. Cependant il ne faut pas comprendre ceci comme étant une forme de végétalisme poussée à l’extrême. Il faut la comprendre comme étant la vie n’exploitant pas d’autre être vivant. L’animal est un être qui est orienté, tout entier, vers la satisfaction de ses besoins vitaux. Alors que l’homme est un être qui accomplit des activités par lesquelles il affirme sa propre liberté car il peut travailler hors des contraintes de la nécessité, c'est-à-dire pas seulement pour sa survie. La nature fait partie pour l’homme de son prolongement, car l’homme fait de lui-même et des objets qui l’entourent ses propres objets. C’est en ce sens qu’il devient un être universel, c'est-à-dire un être libre. En théorie, l’homme embrasse toutes choses à travers les sciences et les arts. Dans les sciences, l’homme cherche à comprendre parfaitement la nature qui l’entoure. Dans les arts, l’homme fait des matériaux naturels, des objets d’art : que ce soit des statues ou des peintures. En pratique, la nature toute entière fait partie de l’homme dans la mesure où l’homme vit depuis toujours des produits naturels, que ce soit pour se nourrir ou pour se loger. Par conséquent, la nature constitue le prolongement non organique de l’homme. Ce prolongement est non organique car il ne fait pas partie directement de ses organes. La nature et l’homme sont empiriquement deux entités séparées. Cependant l’homme, comme l’animal, trouvent leur prolongement dans la nature car ils exploitent tous deux la nature pour vivre. L’un de façon déterminée et nécessaire et l’autre de façon totalement libre. Le travail agit comme une médiation entre l’homme et la nature et il fait de la nature un prolongement de lui-même. Néanmoins nous devons remarquer que la nature non organique de l’homme n’est pas dans un autre homme. Bien que deux hommes soient deux entités indépendantes, du point de vue organique, l’exploitation de l’homme par l’homme ne rentre pas dans le cadre de la nature générique car l’homme est pris dans sa généralité. L’homme exploitant l’homme n’est rien d’autre que l’homme s’exploitant lui-même et en ce sens, c’est l’homme exploitant ses propres organes. Autrement dit, lorsque l’homme exploite un autre, il perd la liberté qu’il avait acquéri par le travail.
Ainsi « le travail aliéné rend étrangers à l’homme 1/ la nature et 2/ lui-même ». Le travail aliéné est, comme nous l’avons vu précédemment, le travail où l’homme ne tire aucune valeur de son propre travail. Il rend étranger à l’homme la nature car il casse la continuité non organique qu’il avait avec la nature. Effectivement l’homme était lié avec la nature seulement dans la mesure où il vivait des objets extérieurs. L’homme est alors étranger à la nature car il ne vit plus de la nature mais de l’exploitation de l’autre homme et ceci que ce soit pour obtenir une valeur d’un travail ou un salaire. De plus le travail aliéné rend l’homme étranger à lui-même et à sa propre nature car il aliène la vie de son espèce. Effectivement l’homme n’est plus, dans ces conditions, un être qui peut travailler hors des contraintes de la nécessité. Le travail apparaît alors pour l’homme comme étant un simple moyen de satisfaire ses besoins, comme pour les animaux. L’homme qui était un être libre grâce à son activité vitale, c'est-à-dire par le fait de travailler sans contrainte, aliène son propre mode d’activité vitale en le rendant nécessaire. Il aliène donc sa vie générique car son travail ne devient qu’un simple moyen de vivre. Nous pouvons alors conclure que le capitalisme ne rend pas l’homme libre, bien au contraire.
La nature même de l’homme a été aliénée par le capitalisme. Au lieu de rendre l’homme libre, il l’a rendu aliéné et étranger. Cependant nous allons voir que les prolétaires ne sont pas les seules victimes de ses aliénations...
Nous pourrions penser que l’aliénation de l’homme n’est, en réalité une aliénation que pour le prolétaire, car c’est ce point que nous avons principalement développé précédemment. L’aliénation est effective aussi pour la classe bourgeoise comme nous allons le démontrer. Nous avons cependant développé plus profondément l’aliénation du prolétaire car c’est sur ce principe même que la chute du capitalisme semble inévitable.
« La classe possédante et la classe du prolétariat représente la même aliénation humaine. Mais la première se complait et se sent confirmée dans cette aliénation de soi, elle éprouve l’aliénation comme sa propre puissance et possède en elle l’apparence d’une existence humaine ; La seconde se sent anéantie dans l’aliénation, elle voit en elle sa propre impuissance et la réalité d’une exigence inhumaine. »
La Sainte Famille, Paris, Gallimard La Pléiade, 1982, p.459
L’aliénation des classes possédantes et de la classe dominante, en particulier, ne pose pas de problème pour le capitalisme car la classe bourgeoise « se complait et se sent confirmée » à travers cette aliénation. Le travail aliéné qu’elle engendre permet de maximiser les gains et les richesses qu’elle possède, comme nous n’avons cessé de le voir. Par conséquent, elle vend l’aliénation de son être contre le pouvoir et la richesse. Effectivement, comme le prolétaire, le bourgeois ne profite pas de l’objet issu de son travail car le travail du bourgeois consiste à faire travailler les autres pour obtenir plusieurs objets qu’il vend ensuite. Il ne tire aucun bénéfice de son travail à proprement parlé mais plutôt de l’objet du travail des autres, à partir duquel il en tire une certaine somme. Et en ce sens il produit aussi un monde d’objets étrangers, pour lui. Ensuite comme l’ouvrier, le bourgeois ne travaille pas pour le fruit même du travail mais pour l’argent. Mais il se complait dans cette aliénation car le somme d’argent qu’il gagne est toujours la plus grande qu’il puisse obtenir. Cependant, ce n’est pas pour autant qu’il est aliéné dans l’acte même de travailler car, comme l’ouvrier, le bourgeois est contraint de travailler, c'est-à-dire d’exploiter les autres hommes, pour pouvoir obtenir un bénéfice de son moyen de production. Cependant, le bourgeois se nie certes dans son travail mais son travail n’apparaît pas, pour lui, comme forcé. Effectivement, par le biais du travail, le bourgeois obtient un grand bénéfice qui peut lui permettre d’aimer son travail, et donc de vouloir continuer à le faire.
Maintenant que nous avons vu que le prolétariat était relayé au rang d’animal par le capitalisme et que les différentes aliénations qui touchent les hommes sont la cause de ce capitalisme. Nous allons suivre logiquement ce processus libéral et voir les conséquences directes de ces aliénations et du statut du prolétariat : la chute du capitalisme.
1 Manuscrit de 1844, Paris, GF Flammarion, 1996, Premier Manuscrit, p.113
Les inconvénients du libéralisme peuvent se regrouper en deux types. Ceux qui sont des inconvénients à long terme et dont notre époque commence à prendre conscience et ceux qui sont à court terme. L’un des inconvénients à long terme est la pollution de notre planète. Effectivement l’objectif de chaque entreprise est de maximiser ses profits, mais maximiser ses profits est parfois, pour ne pas dire toujours, en contradiction avec le « bien » de notre planète. L’intérêt de l’entreprise est de réaliser le moins de dépenses possibles et donc d’être le plus efficace avec le moins d’argent possible. Prenons les deux principaux facteurs de pollutions pour mieux comprendre. Dans l’agriculture, il est préférable d’utiliser le produit phytosanitaire le moins chère et le plus efficace (car plus ce produit est cher et moins la différence entre les gains et les dépenses est grande, autrement dit moins le profit est grand. Moins il est efficace et plus il y a de perte de marchandises) pour protéger les récoltes, ou pour accroître la croissance des plantes, dans le cas des engrains. Or un produit respectueux de l’environnement est, en général, moins efficace et surtout est toujours plus cher. Ceci car il est nouveau et donc il n’est pas produit massivement. Par conséquent il ne peut qu’être plus cher. Enfin il est en général moins efficace car il n’est pas composé de produits qui ont pour objectif exclusif de détruire tel parasite. Un produit chimique à pour réel objectif exclusif de détruire tel insecte ou les mauvaises herbes, alors que les produits respectueux de la nature ont pour objectif premier, comme leur nom l’indique, d’être d’abord respectueux de la nature et ensuite d’être efficaces. C’est la réduction des dépenses dans une entreprise qui entraîne des négligences vie à vie de la nature. Ceci est quasiment analogue dans le secteur automobile. Les automobiles polluent car c’est en polluant qu’elles sont le plus efficaces et le moins chères et ainsi elles permettent de répondre aux besoins des acheteurs. Si de nos jours les automobiles polluent de moins en moins ceci est pour répondre aussi aux besoins des utilisateurs qui d’une part prennent conscience de l’importance de protéger leur planète et d’autre part car le développement des nouveaux moteurs DCI permettent de meilleurs rendements et, par hasard, polluent beaucoup moins. Mais les automobiles ne polluant quasiment pas restent coûteuses à produire et donc coûteuses à la vente et de plus elles ne sont pas efficaces sur le long terme. Par conséquent elles sont alors délaissées par les utilisateurs.
La destruction massive des ressources est le second inconvénient à long terme du capitalisme. Comme nous l’avons déjà précisé l’objectif du libéralisme est de favoriser les entreprises et les entreprises ont eu pour objectif de maximiser leur profit. Or pour faire un maximum de profit, les diverses entreprises doivent produire le plus possible et sans arrêt. Elles produisent ainsi un grand nombre de produits qu’elles pourront vendre et ainsi augmenter leur gain. Mais la production de leur marchandise se fait toujours à partir de matières premières, car c’est un fait que nous ne pouvons pas obtenir un objet à partir de rien. L’homme transforme ensuite cette matière et la travaille. Cette matière à travailler est appelée matière première. Mais cette matière première n’est pas inépuisable. Les entreprises produisant le plus possible commencent alors à apercevoir le bout de la matière première qu’elles utilisaient. Ainsi l’homme a dû fixer des quotas draconiens pour préserver ces ressources, notamment les ressources de la mer et de la chasse. Mais nous pouvons aussi lire dans de nombreux journaux spécialisés que le pétrole commence à manquer et ceci pourrait même être la cause de certaines guerres. Et ceci sans parler de la disparition des forêts et de nombreuses espèces animales. En un mot le capitalisme a détruit en quelques années les ressources qui étaient présentes depuis des millions d’années pour produire plus et vendre plus. Cette fois-ci c’est la maximisation aveugle des gains qui provoque une grave contrepartie à long terme.
Enfin l’inconvénient à court terme du libéralisme, qui n’aurait de cesse d’être dénoncé par Marx et ses partisans, est l’exploitation des hommes. Effectivement chaque entreprise ayant pour objectif de maximiser ses profits, doit, comme nous l’avons vu, maximiser ses ventes, mais aussi diminuer ses coûts de production. Or le salaire de l’ouvrier représente la plus grosse partie des coûts de production.
« C’est ainsi qu’en économie politique, le salaire apparaît de prime abord comme la part proportionnelle qui revient au travail dans le produit. Salaire du travail et profit du capital s’y avantage […] Après coup, on s’aperçoit que l’ouvrier est contraint de laisser autrui fixer son salaire, tout comme le capitaliste est contraint de la fixer aussi bas que possible. »
La Sainte Famille, Ed. La pléiade, 1982 Chap. 4, Partie 4, p.455
Il est effectivement possible que le salaire de l’ouvrier soit déterminé proportionnellement au prix du produit final car selon tout principe de justice chaque personne qui participe à la création d’un objet doit pouvoir en tirer les bénéfices proportionnellement à sa participation. Ainsi, si je réalise deux heures d’un travail sur un objet et qu’une autre personne en réalise une seule (en présupposant au départ que les deux travails soient de la même difficulté), que nous le vendons, je dois alors posséder les deux tiers du prix final car j’ai travaillé deux tiers de plus que l’autre personne sur cet objet. C’est ainsi qu’on pourrait croire que se calcule le salaire de l’ouvrier. Mais l’ouvrier est contraint de laisser autrui fixer son salaire car l’ouvrier est un prolétaire, c'est-à-dire qu’il doit travailler pour vivre et s’il n’accepte pas le prix du salaire, il ne peut donc pas vivre. Il est par conséquent contrait de laisser son patron fixer son salaire. Le salaire de l’ouvrier est alors nécessairement le plus bas possible, c'est-à-dire seulement ce qui lui permet de survivre, car plus le salaire de l’ouvrier est élevé et plus la différence entre le gain et les dépenses est faible. C'est-à-dire moins le profit pour le capitaliste est grand. De plus, plus le salaire de l’ouvrier est élevé et plus la marchandise finale est chère (car le prix du salaire est répertorié sur le prix de la marchandise) mais si la marchandise est chère, elle n’est pas concurrentielle avec les autres et les marchandises ne se vendent pas. Ainsi le capitaliste est obligé de fixer le prix du salaire le plus bas possible. Mais c’est ce point crucial du capitalisme et le statut du prolétaire qui en découle, qui vont entraîner sa chute. C’est ce que nous allons maintenant analyser. Nous devons cependant noter préalablement que Marx a consacré les trois quarts de ses ouvrages à la critique du capitalisme, nous ne pouvons donc qu’en faire un résumé rapide et lacunaire car ce n’est pas le cœur de notre propos mais seulement le contexte.
Tout d’abord le principal avantage avec le capitalisme est celui qui a provoqué la chute de la monarchie, c'est-à-dire le rendement élevé1. Le rendement est la somme d’une production par rapport à une norme établie. Ainsi lors des grandes découvertes, le rendement a dû être considérablement élevé car les normes avaient changées. Effectivement la norme pour une entreprise quelconque avant les grandes découvertes se limitaient à un cercle relativement restreint, c'est-à-dire, au maximum, satisfaire le marché d’une région. Après les grandes découvertes, il fallait satisfaire de nouveau marché beaucoup plus vaste et ainsi réaliser beaucoup plus de gains. De nos jours, il n’est pas rare de trouver des entreprises multinationales qui doivent satisfaire un marché mondial, notamment dans l’automobile. Le capitalisme permet un rendement énorme notamment grâce à la division du travail, comme nous l’avons développé précédemment. Un tel rendement a permis de faire des progrès considérables dans de nombreux domaines. En effet grâce à de grands rendements, les prix ont considérablement diminué et le nombre de provision a été accru considérablement. Effectivement en se basant sur la loi de l’offre et de la demande, si la quantité d’un produit demandé augmente, le prix diminue nécessairement car le produit n’est plus rare. Les grandes industries ont produit le plus possible, pour en vendre le plus possible et donc les prix ont considérablement chuté. Avec les prix qui ont chutés, le capitalisme a permis l’accès à la majorité des biens pour une grande partie de la population. De plus, nécessairement, si les entreprises veulent vendre beaucoup, il faut nécessairement qu’une grande partie de la population puisse acheter la marchandise vendue. L’appât du gain a donc provoqué un sérieux avantage pour la société.
Le deuxième avantage du capitalisme est le second facteur qui a précipité la chute de la monarchie : la concurrence. Les grandes industries sont entrées en concurrence les unes par rapport aux autres. Elles doivent donc dû innover en permanence pour pouvoir être concurrentielles. La concurrence a non seulement permis de baiser les prix, car l’utilisateur achète le produit qui est le moins chère, mais aussi a permis de faire de grands progrès techniques. Deux entreprises sont en concurrence lorsqu’elles produisent le même objet sur un marché donné. L’objectif de chaque entreprise étant de vendre le plus possible, pour vendre leur marchandise, elles doivent alors assurer leur vente auprès du publique. Pour se faire, elles ont deux possibilités, soit elles diminuent les prix de leur marchandise et ainsi s’assurent que leur marchandise soit la plus intéressante pour les acheteurs, soit elles innovent en améliorant leur produit. Autrement dit, soit elles deviennent les meilleures sur le prix, soit elles deviennent les meilleures sur l’innovation. L’innovation est le fait d’introduire quelque chose de nouveau dans un domaine particulier dans un but positif, c'est-à-dire combler le plus possible le besoin de l’utilisateur. Effectivement comme le fait remarquer Marx : « tout produit est un appât avec lequel on tâche d’attirer à soi l’être d’autrui, son argent. Tout besoin réel ou virtuel est une faiblesse qui attirera la mouche dans la glu. »2 Les innovations permettent de satisfaire des besoins virtuels, c'est-à-dire les diverses choses dont nous pourrions nous passer mais qui nous donnent envie ou nous facilitent la vie. Or, un objet qui comble un besoin, virtuel ou réel, est un objet que l’on désir nécessairement car, par définition, le besoin est un état d’insatisfaction dû à un sentiment de manque et donc nous le désirons car nous cherchons naturellement à nous satisfaire. Une bonne entreprise va donc chercher à combler un besoin ou à en créer un pour attirer l’argent d’autrui et ainsi faire des profits. L’innovation comme critère de vente a permis de réaliser des progrès considérables dans de nombreux domaines. De nos jours nous pouvons citer dans les progressions les plus fulgurantes : la téléphonie, l’informatique ou encore l’automobile. La recherche de la satisfaction des besoins humains, dans un but lucratif, a permis de rendre la vie beaucoup plus facile. C’est bien l’appât du gain qui a fait progresser la société. La concurrence entre les diverses entreprises a entraîné l’innovation des objets pour attirer le plus d’acheteurs possibles et ceci n’a pas manqué de faire progresser des secteurs tout entier.
1Qui a permit l’enrichissement rapide de la bourgeoisie comme nous l’avons développé dans la première partie : I.A Le remplacement de l’ancien système féodal par le système « moderne ».
2 Manuscrit de 1844, Paris GF Flammarion, 1996 Troisième Manuscrit p.186
D’abord, il faut remarquer que pour la plupart des libéraux, il n’y a pas de différence de nature entre le libéralisme économique et le libéralisme politique car ce n’est que l’application d’une même doctrine philosophique dans plusieurs domaines. Le libéralisme est issu du courant philosophique lui même issu des Lumières, pendant le XVIIIé siècle, et s’impose comme étant la doctrine contre l’absolutisme du roi. L’absolutisme est un des divers régimes politiques où le souverain possède tous les pouvoirs. J.Locke est l’auteur qui a posé les fondements du libéralisme moderne en développant ses principaux thèmes. Il part de l’Homme à l’état de nature, c'est-à-dire l’Homme en absence de loi, et il pose l’homme comme étant avant tout un propriétaire. Locke essaye alors de concevoir un pouvoir politique qui garantirait les libertés premières des individus dans une société. A partir de ces deux éléments, nous pouvons déjà voir le fait que l’état n’a pour rôle que de garantir la liberté des individus et donc de protéger leurs propriétés privées. Effectivement si nous cherchons un état qui garantisse les libertés des individus et où les individus sont avant toute chose des êtres économiques, c'est-à-dire qui s’approprient des objets et en font commerce, alors l’état doit garantir le commerce entre les individus et c’est en ce sens qu’il garantit la liberté des individus. Avant Locke, l’état était toujours conçu comme ayant pour rôle d’instituer l’ordre social et moral, maintenant l’état doit garantir la liberté, autrement dit éliminer ce qu’il lui nuit sans instituer d’ordre social ou moral si ce n’est celui de la liberté, conçu comme liberté économique comme nous allons le voir. Ainsi la base du libéralisme repose sur l’idée que l’état doit garantir les droits fondamentaux et qu’aucun pouvoir ne peut les violer. Ces droits fondamentaux sont les droits de l’Homme au sens large qui sont regroupés dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen1 de 1789.
Comme nous allons le voir, parmi les droits fondamentaux que défende le libéralisme politique, il y a le droit à la liberté et ce droit est de loin le plus important. Il est à la base même de la création du libéralisme. Il est le fondement à proprement parler, comme nous venons de le voir. Ainsi voyons la définition de cette liberté et les commentaires de Marx qui l’accompagnent dans La Question Juive2.
« Art. 63 « La liberté est le pouvoir qui appartient à l’Homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui », ou, d’après la Déclaration des droits de l’Homme de 1791 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. »
Ainsi la liberté est le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Les limites dans lesquelles chacun peut se mouvoir sans préjudice pour autrui sont fixées par le piquet d’une clôture. Il s’agit de la liberté de l’Homme comme monade isolée et repliée sur elle-même. […]
Or le droit humain de la liberté n’est pas fondé sur l’union de l’Homme avec l’Homme. C’est le droit de cette séparation, le droit de l’individu borné, enfermé en lui-même.
L’application pratique du droit de l’Homme à la liberté, c’est le droit de l’Homme à la propriété privée. »
La Question Juive. Argent, Etat, Prolétariat, Paris Ed. La Pléiade, t.III, p. 367
La liberté consiste alors à faire ce qui ne nuit pas à autrui. Les hommes sont donc envisagés comme étant des « monades isolées et repliées » sur elles-mêmes. Ici Marx fait référence à Leibniz dans son œuvre, la Monadologie4, où l’auteur définit la monade comme étant une substance de nature spirituelle, simple, active et indivisible, dont le nombre est infini et dont tous les êtres sont composés. Et surtout Marx fait référence à la célèbre phrase de Leibniz où il conçoit l’Homme comme étant une monade « sans porte ni fenêtre »5. La définition de la liberté, selon la Déclaration des Droits de l’Homme6 de 1789, considère l’homme comme étant une monade car la liberté envisagée est celle de chaque homme pris séparément et opposé aux autres hommes, ainsi la limite de la liberté est l’autre homme. Cette définition n’envisage pas les hommes comme étant des êtres communiquant entre eux et vivant en harmonie, mais comme étant des êtres qui s’opposent et qui s’efforcent de ne pas se nuire. L’homme libre est alors une monade « sans porte ni fenêtre » car sa liberté ne peut pas rencontrer celle d’un autre homme car sinon il sera réprimé, d’où le terme « préjudice » souligné par Marx. Les hommes libres sont donc des hommes enfermés dans des bulles qui ne peuvent pas se chevaucher mais où dans leur bulle, ils font ce qu’ils veulent. La liberté est envisagée comme étant encadrée par des clôtures car fatalement les libertés des uns définissent les limites de la liberté des autres. Effectivement sur un terrain déterminé, si je possède 80% de ce terrain, ma liberté est plus grande que celui qui n’en possède que 20%. De plus si je veux réaliser un souhait qui nécessité 50% de ce terrain, je peux le réaliser, alors que celui qui n’en a que 20% ne peut pas le réaliser sans me nuire. Plus notre bulle ou notre clôture est grande et plus notre liberté est grande. Le droit de la liberté humaine est le droit à la séparation car c’est le droit de s’isoler de tout ce qui nous nuit. Tout ce qui entre dans notre bulle peut potentiellement être expulsé car tel est défini le droit à la liberté. La liberté est ici spatialisée et l’application pratique du droit de l’Homme à la liberté est le droit à la propriété. La propriété est le droit d’user, de jouir et de disposer de quelque chose de façon exclusive. Or la liberté étant le fait de faire ce que l’on veut sans nuire aux autres. Nous ne pouvons nuire aux autres qu’en rentrant dans leur clôture, c'est-à-dire dans les choses qu’ils sont seuls à posséder et c’est ce qu’on peut définir comme étant leur liberté. La propriété est l’objet pratique et concret qui montre aux autres ce qui est à moi et ce qu’est ma liberté. La liberté montre l’objet concret qu’ils peuvent profaner pour nuire à autrui. La propriété privée est l’objet concret de la limite de la liberté d’autrui. Remarquons que celui qui ne possède rien n’a pas de lieu où il peut faire ce qu’il veut car partout il peut potentiellement nuire à autrui. Si nous prenons un locataire, qui par définition de possède pas de propriété, non seulement il paye pour rester dans les lieux de la location, mais en plus il doit laisser les lieux comme ils étaient avant son arrivée. Il n’a nul endroit, ni objet où il peut faire ce qu’il veut. Il ne peut que nuire aux autres. Par conséquent celui qui possède le plus est celui qui est le plus libre ou du moins celui qui fait le plus ce qu’il veut sans nuire aux autres. Or celui qui possède le plus à la chute de la monarchie est la classe bourgeoise car elle s’est très nettement enrichie, comme nous l’avons vu précédemment. Par conséquent la liberté protégée par l’état libéral est la liberté de l’homme bourgeois et l’état capitalisme est l’état au service de la classe bourgeoise, c'est-à-dire la classe dominante.
La liberté que le libéralisme veut protéger concrètement est la liberté envisagée comme liberté de propriété privée. La politique libérale est la préservation de la propriété privée et du commerce de ces propriétés. Dans la mesure où la liberté est envisagée comme la liberté d’avoir des propriétés et que le libéralisme est avant tout la préservation des libertés humaines, le libéralisme est alors le droit à la propriété privée. L’état libéral est donc celui qui garantit la liberté, c'est-à-dire le droit de pouvoir posséder quelque chose et d’en jouir comme bon lui semble, tant qu’il ne nuit pas à la possession d’autrui. Mais nous allons voir plus profondément comment les droits fondamentaux de l’Homme sont envisagés, ainsi que les commentaires de Marx sur ce sujet:
« « Art. 16 (constitution de 1793) : « Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. »
Par conséquent, le droit de l’Homme à la propriété privée, c’est le droit de jouir de sa fortune et d’en disposer à son gré, sans se soucier d’autrui, indépendamment de la société : c’est le droit de l’intérêt personnel. Cette liberté individuelle, tout comme sa mise en pratique constituent la base de la société civile. »
La Question Juive. Argent, Etat, Prolétariat, Paris Ed. La Pléiade, t.III, p. 367
Comme nous pouvons le remarquer, le droit à la propriété privée est le droit au libéralisme économique. Autrement dit le droit « de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie », c'est-à-dire d’en faire commerce, d’acquérir ou d’accumulée des richesses. Le terme « jouir » employé ici montre que nous pouvons les consommer directement et en obtenir un plaisir direct. Mais le terme « disposer » montre que nous pouvons faire autre chose que le consommer, comme par exemple en faire commerce ou les accumuler. Ainsi le droit de faire commerce de ses objets, de son travail ou de son industrie est ce que nous pouvons retrouver dans le capitalisme économique. Le prolétaire est celui qui vend son travail, tandis que le bourgeois est celui qui fait commerce de son industrie. La loi de l’offre et de la demande est au cœur du commerce régit par ce droit fondamental. Le deuxième point que souligne ce droit fondamental, remarqué par Marx, c’est le droit à l’intérêt personnel. Marx souligne bien le terme « à son gré » qui montre bien que le commerce et la jouissance des objets, du travail ou de l’industrie sont personnels et ne regardent personne. Mais ils ont tout de même pour seule limite les restrictions établies par la loi. Ainsi comme le conclut Marx, dans le libéralisme politique, la liberté individuelle, « tout comme sa mise en pratique », c'est-à-dire la propriété privée, constituent la base de la société civile. Or « La société civile est la forme d’échange, déterminée à tous les stades de l’histoire par les forces productives disponibles et les déterminants à leur tous »7 c'est-à-dire que la société civile représente l’ensemble des associations, à but lucratif ou non, dans une société à une époque donnée. Par exemple, dans la société monarchique, la société civile prenait pour forme dominante d’échange l’artisanat et dans la société moderne, la forme dominante d’échange est l’industrie. La propriété privée est alors la base de la société civile car elle est à la base d’une société protégeant les entreprises, c'est-à-dire la forme dominante d’échange, et ceci car la propriété privée permet, comme nous l’avons vu, de « disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie ». Autrement dit la propriété privée permet le libéralisme économique.
Le libéralisme politique est donc la favorisation autant que possible des libertés individuelles, c'est-à-dire de la propriété privée. Le libéralisme politique a donc pour objectif de garantir le libéralisme économique. Or l’objectif de chaque entreprise, dans le libéralisme économique, est naturellement de réaliser le plus de profit possible, c'est-à-dire de réaliser la plus grande différence entre le total des gains réalisés et le total des dépenses utilisées pour la réalisation d’une marchandise. C’est à partir de cet objectif que va se déterminer, comme nous allons le voir, les avantages du libéralisme à travers la recherche de la maximisation des gains réalisés et les inconvénients du libéralisme à travers la recherche de la minimisation des dépenses utilisées.
1 Ligue Française de la déclaration des Droit de l’homme et du citoyen. Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, 1793, 1945. Paris, Ed. GGELEP, 1989
2La Question Juive. Argent, Etat, Prolétariat. Paris, Ed. La Pléiade, T.III
3 Art.6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen 1789
4 Leibniz. La Monadologie. Paris, Ed. Delagrave, 1968
5 Leibniz. La Monadologie. Paris, Ed. Delagrave, 1968
6 Ligue Française de la déclaration des Droit de l’homme et du citoyen. Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, 1793, 1945. Paris, Ed. GGELEP, 1989
7 Idéologie Allemande, Paris Nathan, 2007. Feuerbach p.59
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