D’abord, il faut remarquer que pour la plupart des libéraux, il n’y a pas de différence de nature entre le libéralisme économique et le libéralisme politique car ce n’est que l’application d’une même doctrine philosophique dans plusieurs domaines. Le libéralisme est issu du courant philosophique lui même issu des Lumières, pendant le XVIIIé siècle, et s’impose comme étant la doctrine contre l’absolutisme du roi. L’absolutisme est un des divers régimes politiques où le souverain possède tous les pouvoirs. J.Locke est l’auteur qui a posé les fondements du libéralisme moderne en développant ses principaux thèmes. Il part de l’Homme à l’état de nature, c'est-à-dire l’Homme en absence de loi, et il pose l’homme comme étant avant tout un propriétaire. Locke essaye alors de concevoir un pouvoir politique qui garantirait les libertés premières des individus dans une société. A partir de ces deux éléments, nous pouvons déjà voir le fait que l’état n’a pour rôle que de garantir la liberté des individus et donc de protéger leurs propriétés privées. Effectivement si nous cherchons un état qui garantisse les libertés des individus et où les individus sont avant toute chose des êtres économiques, c'est-à-dire qui s’approprient des objets et en font commerce, alors l’état doit garantir le commerce entre les individus et c’est en ce sens qu’il garantit la liberté des individus. Avant Locke, l’état était toujours conçu comme ayant pour rôle d’instituer l’ordre social et moral, maintenant l’état doit garantir la liberté, autrement dit éliminer ce qu’il lui nuit sans instituer d’ordre social ou moral si ce n’est celui de la liberté, conçu comme liberté économique comme nous allons le voir. Ainsi la base du libéralisme repose sur l’idée que l’état doit garantir les droits fondamentaux et qu’aucun pouvoir ne peut les violer. Ces droits fondamentaux sont les droits de l’Homme au sens large qui sont regroupés dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen1 de 1789.
Comme nous allons le voir, parmi les droits fondamentaux que défende le libéralisme politique, il y a le droit à la liberté et ce droit est de loin le plus important. Il est à la base même de la création du libéralisme. Il est le fondement à proprement parler, comme nous venons de le voir. Ainsi voyons la définition de cette liberté et les commentaires de Marx qui l’accompagnent dans La Question Juive2.
« Art. 63 « La liberté est le pouvoir qui appartient à l’Homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui », ou, d’après la Déclaration des droits de l’Homme de 1791 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. »
Ainsi la liberté est le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Les limites dans lesquelles chacun peut se mouvoir sans préjudice pour autrui sont fixées par le piquet d’une clôture. Il s’agit de la liberté de l’Homme comme monade isolée et repliée sur elle-même. […]
Or le droit humain de la liberté n’est pas fondé sur l’union de l’Homme avec l’Homme. C’est le droit de cette séparation, le droit de l’individu borné, enfermé en lui-même.
L’application pratique du droit de l’Homme à la liberté, c’est le droit de l’Homme à la propriété privée. »
La Question Juive. Argent, Etat, Prolétariat, Paris Ed. La Pléiade, t.III, p. 367
La liberté consiste alors à faire ce qui ne nuit pas à autrui. Les hommes sont donc envisagés comme étant des « monades isolées et repliées » sur elles-mêmes. Ici Marx fait référence à Leibniz dans son œuvre, la Monadologie4, où l’auteur définit la monade comme étant une substance de nature spirituelle, simple, active et indivisible, dont le nombre est infini et dont tous les êtres sont composés. Et surtout Marx fait référence à la célèbre phrase de Leibniz où il conçoit l’Homme comme étant une monade « sans porte ni fenêtre »5. La définition de la liberté, selon la Déclaration des Droits de l’Homme6 de 1789, considère l’homme comme étant une monade car la liberté envisagée est celle de chaque homme pris séparément et opposé aux autres hommes, ainsi la limite de la liberté est l’autre homme. Cette définition n’envisage pas les hommes comme étant des êtres communiquant entre eux et vivant en harmonie, mais comme étant des êtres qui s’opposent et qui s’efforcent de ne pas se nuire. L’homme libre est alors une monade « sans porte ni fenêtre » car sa liberté ne peut pas rencontrer celle d’un autre homme car sinon il sera réprimé, d’où le terme « préjudice » souligné par Marx. Les hommes libres sont donc des hommes enfermés dans des bulles qui ne peuvent pas se chevaucher mais où dans leur bulle, ils font ce qu’ils veulent. La liberté est envisagée comme étant encadrée par des clôtures car fatalement les libertés des uns définissent les limites de la liberté des autres. Effectivement sur un terrain déterminé, si je possède 80% de ce terrain, ma liberté est plus grande que celui qui n’en possède que 20%. De plus si je veux réaliser un souhait qui nécessité 50% de ce terrain, je peux le réaliser, alors que celui qui n’en a que 20% ne peut pas le réaliser sans me nuire. Plus notre bulle ou notre clôture est grande et plus notre liberté est grande. Le droit de la liberté humaine est le droit à la séparation car c’est le droit de s’isoler de tout ce qui nous nuit. Tout ce qui entre dans notre bulle peut potentiellement être expulsé car tel est défini le droit à la liberté. La liberté est ici spatialisée et l’application pratique du droit de l’Homme à la liberté est le droit à la propriété. La propriété est le droit d’user, de jouir et de disposer de quelque chose de façon exclusive. Or la liberté étant le fait de faire ce que l’on veut sans nuire aux autres. Nous ne pouvons nuire aux autres qu’en rentrant dans leur clôture, c'est-à-dire dans les choses qu’ils sont seuls à posséder et c’est ce qu’on peut définir comme étant leur liberté. La propriété est l’objet pratique et concret qui montre aux autres ce qui est à moi et ce qu’est ma liberté. La liberté montre l’objet concret qu’ils peuvent profaner pour nuire à autrui. La propriété privée est l’objet concret de la limite de la liberté d’autrui. Remarquons que celui qui ne possède rien n’a pas de lieu où il peut faire ce qu’il veut car partout il peut potentiellement nuire à autrui. Si nous prenons un locataire, qui par définition de possède pas de propriété, non seulement il paye pour rester dans les lieux de la location, mais en plus il doit laisser les lieux comme ils étaient avant son arrivée. Il n’a nul endroit, ni objet où il peut faire ce qu’il veut. Il ne peut que nuire aux autres. Par conséquent celui qui possède le plus est celui qui est le plus libre ou du moins celui qui fait le plus ce qu’il veut sans nuire aux autres. Or celui qui possède le plus à la chute de la monarchie est la classe bourgeoise car elle s’est très nettement enrichie, comme nous l’avons vu précédemment. Par conséquent la liberté protégée par l’état libéral est la liberté de l’homme bourgeois et l’état capitalisme est l’état au service de la classe bourgeoise, c'est-à-dire la classe dominante.
La liberté que le libéralisme veut protéger concrètement est la liberté envisagée comme liberté de propriété privée. La politique libérale est la préservation de la propriété privée et du commerce de ces propriétés. Dans la mesure où la liberté est envisagée comme la liberté d’avoir des propriétés et que le libéralisme est avant tout la préservation des libertés humaines, le libéralisme est alors le droit à la propriété privée. L’état libéral est donc celui qui garantit la liberté, c'est-à-dire le droit de pouvoir posséder quelque chose et d’en jouir comme bon lui semble, tant qu’il ne nuit pas à la possession d’autrui. Mais nous allons voir plus profondément comment les droits fondamentaux de l’Homme sont envisagés, ainsi que les commentaires de Marx sur ce sujet:
« « Art. 16 (constitution de 1793) : « Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. »
Par conséquent, le droit de l’Homme à la propriété privée, c’est le droit de jouir de sa fortune et d’en disposer à son gré, sans se soucier d’autrui, indépendamment de la société : c’est le droit de l’intérêt personnel. Cette liberté individuelle, tout comme sa mise en pratique constituent la base de la société civile. »
La Question Juive. Argent, Etat, Prolétariat, Paris Ed. La Pléiade, t.III, p. 367
Comme nous pouvons le remarquer, le droit à la propriété privée est le droit au libéralisme économique. Autrement dit le droit « de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie », c'est-à-dire d’en faire commerce, d’acquérir ou d’accumulée des richesses. Le terme « jouir » employé ici montre que nous pouvons les consommer directement et en obtenir un plaisir direct. Mais le terme « disposer » montre que nous pouvons faire autre chose que le consommer, comme par exemple en faire commerce ou les accumuler. Ainsi le droit de faire commerce de ses objets, de son travail ou de son industrie est ce que nous pouvons retrouver dans le capitalisme économique. Le prolétaire est celui qui vend son travail, tandis que le bourgeois est celui qui fait commerce de son industrie. La loi de l’offre et de la demande est au cœur du commerce régit par ce droit fondamental. Le deuxième point que souligne ce droit fondamental, remarqué par Marx, c’est le droit à l’intérêt personnel. Marx souligne bien le terme « à son gré » qui montre bien que le commerce et la jouissance des objets, du travail ou de l’industrie sont personnels et ne regardent personne. Mais ils ont tout de même pour seule limite les restrictions établies par la loi. Ainsi comme le conclut Marx, dans le libéralisme politique, la liberté individuelle, « tout comme sa mise en pratique », c'est-à-dire la propriété privée, constituent la base de la société civile. Or « La société civile est la forme d’échange, déterminée à tous les stades de l’histoire par les forces productives disponibles et les déterminants à leur tous »7 c'est-à-dire que la société civile représente l’ensemble des associations, à but lucratif ou non, dans une société à une époque donnée. Par exemple, dans la société monarchique, la société civile prenait pour forme dominante d’échange l’artisanat et dans la société moderne, la forme dominante d’échange est l’industrie. La propriété privée est alors la base de la société civile car elle est à la base d’une société protégeant les entreprises, c'est-à-dire la forme dominante d’échange, et ceci car la propriété privée permet, comme nous l’avons vu, de « disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie ». Autrement dit la propriété privée permet le libéralisme économique.
Le libéralisme politique est donc la favorisation autant que possible des libertés individuelles, c'est-à-dire de la propriété privée. Le libéralisme politique a donc pour objectif de garantir le libéralisme économique. Or l’objectif de chaque entreprise, dans le libéralisme économique, est naturellement de réaliser le plus de profit possible, c'est-à-dire de réaliser la plus grande différence entre le total des gains réalisés et le total des dépenses utilisées pour la réalisation d’une marchandise. C’est à partir de cet objectif que va se déterminer, comme nous allons le voir, les avantages du libéralisme à travers la recherche de la maximisation des gains réalisés et les inconvénients du libéralisme à travers la recherche de la minimisation des dépenses utilisées.
1 Ligue Française de la déclaration des Droit de l’homme et du citoyen. Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, 1793, 1945. Paris, Ed. GGELEP, 1989
2La Question Juive. Argent, Etat, Prolétariat. Paris, Ed. La Pléiade, T.III
3 Art.6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen 1789
4 Leibniz. La Monadologie. Paris, Ed. Delagrave, 1968
5 Leibniz. La Monadologie. Paris, Ed. Delagrave, 1968
6 Ligue Française de la déclaration des Droit de l’homme et du citoyen. Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, 1793, 1945. Paris, Ed. GGELEP, 1989
7 Idéologie Allemande, Paris Nathan, 2007. Feuerbach p.59