Les deux dictatures du prolétariat se distinguent alors l’une de l’autre selon les conditions dans lesquelles elles sont amenée à apparaître. Ainsi elles se définissent selon le degré d’évolution de la société capitaliste, c'est-à-dire concrètement selon la quantité de prolétaires produits. Plus une société a évolué dans le capitalisme et moins il y a de petits bourgeois, car soient ils se sont fait avaler par la concurrence, soit ils sont devenu de grands bourgeois, et moins il y a de paysans car ils sont venus grossir la classe des prolétaires pour répondre au besoin de main d’œuvre industrielle. Les autres paysans sont devenus de « grands » paysans grâce au progrès technique. De plus en plus, le clivage politique et social devient binaire. La première et la seconde conception de la dictature du prolétariat répondent alors au même problème mais selon deux conditions différente. Ce problème est de savoir comment maintenir les prolétaires au pouvoir. De plus il y a véritablement un rôle dialectique des deux types de conception marxiste de la dictature du prolétariat. En effet, nous voyons clairement que la deuxième conception amène la première à se dépasser. Mais Marx n’a jamais fait la synthèse de ces deux conceptions. Or c’est sûrement en elles que réside la véritable dictature du prolétariat Marxiste. Par ailleurs, lorsque Marx démontre que la dictature du prolétariat doit être flexible par au rapport condition de la vie, il ne fait qu'appeler à la synthèse de ces deux conceptions. De plus nous devons rappeler que Marx n’a jamais remis en cause la première conception, il semble qu’il l’ait juste complétée. Nous allons voir maintenant la synthèse des deux conceptions Marxiste de la dictature du prolétariat qui toutes deux répondent au deux rôle fondamental d’une dictature du prolétariat, c'est-à-dire répondre à la crise révolutionnaire et préparer la transformation sociale et psychologique de la société. Avant toute chose nous devons noter que ce qui différencie les deux dictatures du prolétariat est le nombre de prolétaires présents après la révolution. Aussi nous allons supposer dans un premier temps que les prolétaires sont minoritaires et que s’ils sont majoritaires alors nous pouvons passer directement à l’étape 3.
Les prolétaires, à l’aide de leurs alliés (petits bourgeois et paysans), ont renversé le système capitalisme. Il s’agit alors de prendre et de garder le pouvoir, mais les prolétaires ne sont pas (pour le moment) majoritaires. Aussi, Marx envisage dans un premier temps la dictature du prolétariat dans cette perspective afin de répondre au problème d’une crise révolutionnaire. Pour ce faire, Marx envisage de maintenir une révolution permanente. La révolution permanente est le moment historique où les prolétaires armé renversent différentes instances du pouvoir par la violence et se maintiennent, par la force, au pouvoir. Ils commencent alors par éliminer ceux qui ont le plus de pouvoir, à savoir les grands bourgeois. Marx parle alors à ce moment de tolérer tous les excès de violence afin ne pas stopper la révolution. Les prolétaires brulent les moyens de production dans lesquels ils ont travaillé pendant des années. Ils suppriment les instruments de leur aliénation et ainsi ils suppriment la grande bourgeoisie, soit en éliminant directement le bourgeois en question, soit en éliminant ses moyens de production. Dans tous les cas, la classe bourgeoise n’est plus car elle ne possède plus rien, ni prolétaire, ni instrument de production. Les grand bourgeois qui n’ont pas subi la révolte des prolétaires seront privés de leurs moyens de production par la suite. Dans un second temps, par le biais de la révolution permanente, les petits bourgeois, qui possèdent aussi de petits moyens de production, font aussi les frais de la révolution. D’une part car les prolétaires qu’ils employaient ne viennent plus travailler et donc ils perdent leur moyen de production. D’autre part car de la même manière que pour les grandes entreprises, les prolétaires qui travaillaient chez les petits bourgeois veulent posséder le moyen de production qu’ils utilisent. Ceci doit alors se réaliser dans la continuation de la révolution, c'est-à-dire dans les quelques jours qui suivent, afin qu’aucune force organisée n’est le temps de stopper l’évolution de la révolution du prolétariat. Ainsi, la première action de la dictature du prolétariat est donc l’organisation de la révolution permanente.
Ensuite, parallèlement à cette révolution permanente, il s’agit pour la minorité intellectuelle des prolétaires, regroupée au sein du parti communiste, de prendre et d’acquérir le pouvoir politique. Ce pouvoir se doit alors d’être absolu, fort et sans partage. En effet, comme nous l’avons vu avec l’exemple du 18 Brumaire de Louis Bonaparte : « « Toute situation politique provisoire qui succède à une révolution réclame une dictature, voir une dictature énergique. »1. Or les prolétaires ne sont pas majoritaires et donc tout système démocratique leur est défavorable. De plus, comme nous l’avons vu, seule une minorité de prolétaires ont une conscience politique, car la majorité était occupée à survivre. Aussi seul le parti communiste peut s’organiser politiquement et lutter contre les autres partis politiques. Pendant ce temps, le reste des prolétaires restent dans la révolution afin de diminuer physiquement les forces politiques opposées. La prise de pouvoir par le parti communiste est absolue car ce n’est pas le moment de remettre en cause le bien fait du pouvoir et de discuter les réformes. Le succès de la révolution du prolétariat est surtout une question de temps car c’est le parti le mieux organisé qui réussit à se maintenir au pouvoir. Plus la domination des prolétaires tarde et plus les autres forces politiques ont le temps de s’organiser, physiquement pour stopper la révolution et politiquement pour renverser le parti communiste. Il faut lutter contre les forces politiques opposées à travers la violence et la révolution permanente car puisque la démocratie est défavorable aux prolétaires, la dictature est la seule alternative. La dictature est, rappelons le, une situation d’exception où un homme, ou ici un parti, possède le pouvoir absolu pour réponde à une situation d’exception. Le parti communiste ne doit donc pas conserver ce pouvoir dans l’avenir.
Enfin, le parti communiste doit mettre en place un comité de salut publique pour maintenir sont pouvoir et lutter efficacement contre les risques d’une contre révolution. Ainsi Marx à déclaré que : « « Dans toute situation non consolidée, ce n’est pas tel ou tel principe qui compte, mais uniquement le *salut public * »2. Le salut public est le fait même de se maintenir au pouvoir pour le bien du peuple. Sans répéter ce qui a été dit, le comité de salut public a pour rôle de déjouer tous les plans des autres forces politiques et d’éliminer physiquement les opposants au pouvoir. Il possède les pleins pouvoirs et l’immunité et son objectif est donc d’assoir le pouvoir du parti communiste en éliminant tout risque de contre révolution. Le parti communiste s’installe alors au dessus du peuple et maintient une pression constante sur celui-ci afin de faire ressortir tous les éléments qui sont successibles de le faire chuter. La première étape de la dictature du prolétariat est donc de maintenir les prolétaires au pouvoir, même si ces derniers subissent le pouvoir, et de contrer tout risque imminent de contre révolution. Cette phase se termine donc lorsque les risques de contre révolution sont affaiblis, mais avant sa chute elle doit passer par la médiation de la deuxième étape dont l’aboutissement est la condition de la fin de cette étape dictatoriale.
D’abord, nous devons rappeler que les forces productives ne sont rien d’autre que les prolétaires. Il s’agit donc d’augmenter le nombre de prolétaires et pour ce faire il faut diminuer le nombre de représentants des autres classes sociales. La première mesure qui vise cet objectif est le fait de privatiser les moyens de production. Les petits bourgeois, qui possèdent des petits moyens de production, tombent dans le prolétariat. Cependant, il est impossible de priver tout le monde de ses propriétés sans déclencher une rébellion (c'est pourquoi seul les plus capitaux sont rendu publics). Nous devons cependant noter que la différence entre petits et grands bourgeois n’est que de l’ordre quantitatif. Cette mesure s’accompagne aussi de la privation des moyens de production des rebelles, c'est-à-dire de ceux qui seront désignés comme tels par le comité de salut public. La seconde disposition vise alors à mettre en place un impôt progressif élevé afin que ces petits bourgeois gagnent autant que les prolétaires. De cette même manière leur travail n’est pas plus préférable à celui d’un prolétaire. La troisième mesure abolie le droit d’héritage. Les petits bourgeois ne peuvent donc pas donner leurs biens, c'est-à-dire leurs moyens de production. Leur condition est donc amenée, au fur et à mesure, à disparaître. Chaque petit bourgeois qui disparaît vient grossir les rangs des prolétaires. Bien entendu, il devient un prolétaire amère car il s’est fait chasser de sa condition et donc sa transformation en prolétaire n’est possible que progressivement, voire même au remplacement de sa génération.
Ensuite, pour augmenter le nombre de prolétaires, il faut nécessairement diminuer la classe la plus nombreuse, c'est-à-dire les paysans. Il s’agit donc de diminuer la différence entre les villes et les campagnes. Les paysans sont, d’une certaine mesure, proches des prolétaires car, comme les prolétaires, ils vivent dans la misère et ils doivent travailler pour vivre. Cependant ils possèdent des terres qu’ils rendent productives. Bien que ces terres ne fassent jamais d’eux des grands capitalistes, ils sont en général attachés à ces terres. Pour les faire entrer dans le prolétariat, il est nécessaire de supprimer leur propriété et la mentalité bourgeoise qui accompagne cette possession. Remarquons que cette nécessaire transformation est l’un des problèmes majeurs auquel les pays communistes se sont confrontés et qu’ils n’ont jamais pu résoudre. Ainsi Staline a dû renoncer à cette politique et ceci après de nombreux massacres de paysans. Marx envisage de répondre à ce problème selon trois points. Premièrement, en supprimant le droit à l’héritage. Les paysans sont alors de moins en moins nombreux car les terres ne sont plus transmises. Ensuite, l’Etat crée des armées agricoles, c'est-à-dire des prolétaires qui travaillent dans les champs de la communauté. Ces prolétaires sont alors capables de travailler les terres de l’Etat mais aussi ceux des ouvriers rebelles car, troisièmement, il s’agit de supprimer la possession aux rebelles et ainsi ces terres seront cultivables par l’armée agricole. Cette armée agricole est aussi composée de paysan qui accepte de rentrer dans le prolétariat et de céder leurs terres à la communauté. Leur travail en soit ne change pas, ils perçoivent juste un salaire plutôt que de vivre selon leur récolte. Cependant, la meilleure méthode pour diminuer les paysans reste le fait d’augmenter les industries et créer ainsi de l’emploi moins pénible et mieux rémunéré que celui d’un paysan. D’un autre côté, les armées industrielles sont mieux équipées que les paysans et ainsi ont une meilleure production face à la paysannerie. Les paysans se transforment naturellement en prolétaires au fur et à mesure que le pays progresse et l’armée agricole a pour rôle d’éviter que la nation tombe dans la famine.
Enfin, les paysans et petits bourgeois qui tombent dans le prolétariat ne possèdent pas, dans un premier temps, la mentalité des prolétaires. Il s’agit donc de faire mourir les idées capitalistes dont sont issues ces deux classes. Il faut donc transformer psychologiquement la société : « Il s’agit en effet d’abolir la personnalité, l’indépendance et la liberté bourgeoise ». Cette transformation psychologique passe par un bouleversement social de la classe bourgeoise et paysanne. Ainsi le système de domination sur lequel est basé chaque entreprise est remis en cause pour une gestion communautaire des entreprises. Ceci crée alors une interdépendance entre les ouvriers pour faire fonctionner leur entreprise et ainsi vivre. La vision individualiste est remplacée par une vision communautaire au fur et à mesure des années, tout comme la vision élitiste de la monarchie a été remplacée par une vision égalitaire de la république. Le système classique de commerce où chaque individu peut vendre et acheter ses biens est remplacé par une gestion communautaire des propriétés. Les biens tels que l’immobilier et les moyens de production n’appartiennent plus à des individus mais à l’ensemble de la communauté. Ainsi il n’est plus possible de faire du commerce pour son propre profit. La mentalité commerciale dont est issue la petite bourgeoisie, et la mentalité capitaliste de possession dont sont issus les paysans, sont abolies par la suppression de cette possibilité. Naturellement, ces deux classes disparaissent car leurs conditions sont rendues impossibles. Leurs intérêts privés ne peuvent plus dominer sur les intérêts généraux de la communauté. Ces trois mesures ont pour objectif d’augmenter le nombre de prolétaires et ainsi nous pouvons passer à l’étape supérieure de la dictature du prolétariat. Cette étape transforme déjà la dictature en démocratie directe.
Dans la troisième étape, la fin de crise révolutionnaire est organisée et décrétée. Lorsque les prolétaires sont devenus la classe la plus nombreuse, un nouveau bouleversement de la société est possible. Le comité de salut public peut être supprimé car les risques de contre révolution sont terminés. La première mesure de cette étape est alors d’armer les prolétaires qui, étant majoritaires, peuvent assurer la sécurité intérieure comme extérieure. De l’intérieur, les prolétaires étant armées, aucune autre force physique peut se mesurer contre elles. Personne ne peut renverser la domination des prolétaires. A l’extérieur, les prolétaires armés forment une armée populaire prête à lutter pour son pays et sa liberté. Tout risque de contre révolution est alors supprimé. Ainsi, le rôle du parti communiste est aussi devenu obsolète car le prolétariat est maintenant libre de choisir les orientations politiques qu’il désire sans être pressé par les autres forces politiques contre-révolutionnaires. Le pouvoir peut être rendu aux prolétaires. Etant minoritaires, les intérêts des autres classes ne peuvent pas être imposés face à ceux de tous. Le pouvoir législatif et exécutif sont placés entre les mains de prolétaires organisés en commune. Les communes sont alors des villes ou des regroupements de village où chaque citoyen, par le biais de la démocratie directe, peut choisir les lois qui gouverneront sa communauté. L’exécutif est alors assuré par les citoyens eux-mêmes puisque d’une part ce sont eux qui font la loi ; donc ils ne font que suivre les règles qu'ils ce sont imposés (et c’est en cela que consiste la liberté même). D’autre part étant armés, ils peuvent s’assurer de la mise en place et du respect de la loi par l’ensemble de la communauté. Les prolétaires prennent alors place dans toutes les instances du pouvoir et il s’agit, par le biais de clubs et autres organisations prolétariennes, de leur donner une conscience politique en les faisant participer à la vie de la communauté. Pour voir ceci plus en détail nous pouvons nous reporter aux deux mesures précédemment établies dans la second dictature du prolétariat. Aussi, nous passons rapidement sur ces deux dernières étapes car elles ne font que reprendre les conclusions de la partie précédente.
Dans la quatrième et dernière étape, l’Etat est transformé d’un point de vue administratif et il est maintenant au service des communes. L’Etat n'est plus d'un instrument répressif et ses fonctions politiques sont remplacées comme nous venons de le voir. Il ne lui reste alors plus que ses fonctions administratives. Les fonctionnaires sont alors remplacés par des prolétaires qui ne se placeront plus d’un point de vue privilégié par rapport au reste de la société. Au contraire ils seront au service du peuple. Les instances gérées par les fonctionnaires seront les points vitaux de la société comme l’éducation, les transports ou la santé. Les autres points nécessaires à la société sont alors gérés par une autre instance de fonctionnaires qui est chargée de centraliser les besoins de la société et de répartir le travail selon les besoins des communes. La troisième et quatrième étape de la dictature du prolétariat représentent exactement les deux premières et les deux dernières mesures concrètes envisagées dans la seconde conception de la dictature. Nous pouvons voir que les deux conceptions sont complémentaires car la première vise à préparer le peuple pour la seconde, mais elle garantit aussi le pouvoir au peuple. Aussi nous ne développerons pas plus en détail l’étape trois et quatre car nous ne ferons que nous répéter. Il ne s’agit ici seulement que de montrer la continuation parfaite entre les deux conceptions de la dictature du prolétariat
1 Révolution et contre révolution en Europe, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994 Neue Rheinische Zeitung, 14 septembre 1848, p.51
2 Révolution et contre révolution, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994 Neue Rheinische Zeitung, 14 septembre 1858, p.51