« 1. Les fractions les plus avancées de la grande bourgeoisie dont l’objectif est le renversement immédiat et définitif du féodalisme et de l’absolutisme […]
2. Les petits bourgeois démocrates constitutionnels dont le principal objectif pendant le mouvement fut jusque là la création d’un Etat fédéral plus ou moins démocratique […]
3. Les petits bourgeois républicains dont l’idéal est une république fédérative allemande sur le modèle de la Suisse, et qui se disent à présents rouges et socio-démocrates. […] »
La fin de la ligue des Communistes Paris, Gallimard, La Pléiade, 1994 p.549
Marx distingue alors ici deux types de groupes politiques. Celui de la grande bourgeoisie et deux autres groupes de la petite bourgeoisie ou classe moyenne. Le premier groupe, que nous n’avons eu de cesse de présenter, regroupe les capitalistes. La relation qu’entretient le Parti communiste avec ce groupe politique est on ne peut plus clair : une opposition franche et radicale. En effet, le fondement même de tout partit des ouvriers et le projet même du communisme sont basés sur l’effondrement et le dépassement du capitalisme. Nous devons noter que Marx parle ici des différents partis allemands, même si nous pouvons retrouver leur équivalent dans les autres pays. De plus, il faut noter qu’en Allemagne il n’y a pas eu de franche révolution mais plutôt des luttes internes de pouvoir. Marx écrit ici en 1850, la bourgeoisie n’a donc historiquement pas pris le pouvoir et son objectif est toujours le renversement de la monarchie pour les raisons que nous avons déjà évoquées dans la première partie de notre exposé. Les autres types de groupes politiques se distinguent l’un de l’autre en fonction de leurs différentes visions de l’après monarchie. Comme nous pouvons le voir Marx, ainsi que les autres partis ont déjà vendu la peau du roi avant de l’avoir renversé. En effet, avec le recule de l’histoire nous savons que ce n’est qu’en 1918 que l’empereur Guillaume II sera renversé. Cependant, pour Marx comme pour beaucoup d’autres intellectuels, la révolution en Allemagne semble pour demain et ainsi les relations et les définitions des différents partis ne se font que dans la perspective d’une future révolution et prise de pouvoir. Mais ceci a peu d’importance pour notre propos dans la mesure où ces différents partis représentent plus qu’une vision philosophique d’un futur sans monarque, mais ils représentent déjà les intérêts de classes sociales de la population. Ainsi nous allons pouvoir en déduire la relation que doit entretenir le Parti communiste, représentant de la classe du prolétariat, avec les autres partis représentant des autres classes sociales.
Les représentants des classes moyennes se distinguent alors en deux partis politiques. Le premier est celui des petits bourgeois démocrates constitutionnels. Les petits bourgeois sont ceux que l’on peut comprendre aujourd’hui comme étant la classe moyenne car, comme nous l’avons vu, leurs intérêts se distinguent de la grande bourgeoisie seulement dans la mesure où les entreprises de la grande bourgeoisie sont amenées à engloutir, dans leur expansion, les entreprises et commerces de la petite bourgeoisie. La démocratie est un régime politique portant les principes philosophiques et politiques d’une société organisée selon les règles élaborées, décidées et appliquées par l’ensemble des membres de la société. La démocratie est constitutionnelle lorsque ces règles sont organisées par une constitution qui régit et organise hiérarchiquement l’ensemble des rapports entre gouvernants et gouvernés et ceci au sein de la société. Les petits bourgeois démocrates constitutionnels représentent donc la classe moyenne qui désire avoir une part de pouvoir à travers le vote démocratique dans le gouvernement afin de protéger ses intérêts propres. La classe moyenne est intéressée par ce système dans la mesure où elle aura la possibilité de se préserver et de défendre ses intérêts à travers des représentants au gouvernement, même si le parti adverse est majoritaire.
Le deuxième type de représentants politiques des classes moyennes est le parti des petits bourgeois républicains. La république est, selon cette citation de Jean Jaurès : « le droit de tout homme, quelle que soit sa croyance religieuse, à avoir sa part de souveraineté ». Autrement dit, dans une république chaque membre de la société a un doit d’exercer le pouvoir de l’autorité publique d’un point de vue législatif, judiciaire ou exécutif. La république est donc l’affirmation d’un bien commun bien plus qu’une simple association d’intérêts. Cette partie de la classe moyenne se dit « rouge », c'est-à-dire l’équivalent aujourd’hui d’un socialo-communisme, dans la mesure où son objectif est aussi de détruire la pression de la grande bourgeoisie sur la petite. Cette pression n’est rien d’autre que l’application du principe de la libre concurrence, comme nous l’avons déjà vu.
« Le rapport du parti ouvrier révolutionnaire à la démocratie petite bourgeoise est le suivant : il fait front commun avec elle contre les fractions qu’il cherche à renverser ; il s’oppose à celle-ci en tout ce qui leur sert à consolider sa propre position »
Fin de la ligue des communistes, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1994. p.550
L’objectif des classes moyennes donc est le même que celui du prolétariat car, comme le prolétariat, elles subissent la libre concurrence que leur imposent les capitalistes. Cette concurrence risque à tout moment de précipiter chaque membre des classes moyennes dans la classe du prolétariat. Les petits bourgeois sont les diverses petites entreprises en tout genre. Ils possèdent donc de petits moyens de production qui leur permettent, parfois, de faire travailler quelques ouvriers. Mais en face d’eux s’imposent de plus grandes entreprises qui, pour augmenter leurs gains, viennent en concurrence sur le marché des petites entreprises. Ils font ainsi, comme nous l’avons déjà vu, chuter les prix en créant plus d’offre que de demande et ils précipitent donc les petits bourgeois à la faillite. Ces derniers n’ont alors plus comme autre moyen de vivre que de vendre leur force de travail. En d’autres termes, ils rentrent dans la classe du prolétariat. Les classes moyennes ont donc pour intérêt de ne pas laisser faire une libre concurrence entre les entreprises et ceci pour préserver leur statut social. Ils s’opposent alors à la grande bourgeoisie et ils ont donc sur ce point le même intérêt que celui du Parti communiste et plus généralement, que celui du prolétariat. Ainsi de la même manière, Marx déclare dans le Manifeste du Parti communiste, Ed. GF, p.87 : « Elles [les classes moyennes] ne défendent pas leurs intérêts actuels, mais leurs intérêts futurs, elles abandonnent leur propre point de vue pour se placer à celui du prolétariat ». En effet les classes moyennes sont menacées par le capitalisme car elles sont incapables de devenir de grands bourgeois, elles sont condamnées à devenir des prolétaires puisqu’elles sont un obstacle au développement des grosses entreprises. En s’opposant au capitalisme, elles ne défendent donc pas leurs intérêts actuels car, en tant qu’entreprises, ce système leur est favorable. Leur intérêt présent est alors dans le capitalisme. Mais celles qui n’ont pas eu d’ambition ou n’ont pas pu se développer (car toutes les entreprises ne peuvent pas être les vainqueurs) sont condamnées dans le futur à fermer leur entreprise et à devenir des prolétaires. Elles défendent donc leur intérêt futur, l’intérêt des prolétaires, en s’opposant au capitalisme. Alors de fait le Parti communiste « fait front commun avec elle[s] contre les fractions qu’il cherche à renverser », puisqu’ils ont le même intérêt.
Cependant, en cas de victoire, les prolétaires et les classes moyennes n’ont pas les mêmes intérêts. En effet les prolétaires veulent anéantir toutes les sortes d’aliénation dans le travail et la domination des classes, qui lui sont supérieures, en rendant publiques les moyens de production. Ils veulent donc aussi anéantir les classes moyennes, dans la mesure où elles aussi exploitent les prolétaires. Or l’objectif des classes moyennes est la préservation de leur entreprise en limitant la concurrence pour préserver leur marché. Elles sont donc conservatrices dans la mesure où elles veulent revenir à un système du style monarchique, où chaque entreprise possède une sorte de monopole sur un certain territoire, comme nous l’avons déjà vu précédemment. Les prolétaires seraient alors asservis par une multitude de petits bourgeois plutôt que par un seul. Ils veulent revenir alors au temps des maîtres de corps de métier et des compagnons. Mais ceci ne supprime en aucun la relation entre oppresseurs et opprimés. Il n’y a que le nom des oppresseurs qui change. C’est pourquoi le Parti communiste « s’oppose à celle-ci en tout ce qui leur sert à consolider [leur] propre position ». Il y a donc un double jeu à incarner pour le Parti communiste.
« Toutes les tentatives de cette sorte ont soit le même objectif que la ligue, à savoir l’organisation révolutionnaire du parti des ouvriers. Dans ce cas elles détruisent la centralisation et la force du parti en le fractionnant et elles constituent de ce fait des groupuscules séparés particulièrement nuisibles. Soit elles ne peuvent avoir pour objectif que d’abuser du parti ouvrier à des fins qui lui sont étrangères ou directement opposées. Le parti ouvrier pourrait bien, à l’occasion, utiliser d’autres partis et fractions de partis à ses propres fins, mais jamais il ne doit se soumettre à aucun autre parti. »
Fin de la Ligue des Communiste Paris, Gallimard, La Pléiade, 1994 p.563
Avant toute chose nous devons noter que Marx entend par « toutes les tentatives de cette sorte » les divers essais de rassemblement d’ouvriers dans les différents partis d’Europe indépendamment de la Ligue des communistes. Le terme « Ligue » désigne une association qui a pour objectif de défendre des intérêts communs des membres de la ligue. La ligue des communistes a donc la même fonction qu’un Parti communiste tel que nous l’avons précédemment présenté. Marx distingue cependant le terme « parti » et « ligue » comme on peut le voir par les termes « ligue des communistes » et le « parti des ouvriers ». La ligue a pour objectif ici de fédérer toutes les autres associations ouvrières dans l’objectif de créer le « parti ouvrier » qui est, pour le moment, fictif. Le « parti ouvrier » est donc la somme des différentes associations d’ouvriers. Nous pouvons alors distinguer deux types d’associations ouvrières autres que la ligue des communistes elle-même. Le premier type, que nous pouvons appeler les autres partis communistes, regroupe les partis qui ont le même objectif que la Ligue des communistes. Cet objectif est, comme le réaffirme ici Marx : « L’organisation révolutionnaire du Parti Ouvrier ». En d’autres termes, le rassemblement fraternel des ouvriers dans un parti unique et dans le but de créer une classe universelle, puis une révolution. Alors si les différentes fractions ont ce même objectif, de façon théorique et rationnelle nous ne pouvons pas comprendre pourquoi ils refusent le rassemblement. En effet, une facture entre les différents partis est contre-productive par rapport à leur objectif commun. D’un point de vue pratique nous comprenons très bien que les différents chefs au pouvoir dans les différentes associations luttent pour le pouvoir et refusent de se subordonner à une autre association (car ceci serait synonyme de la perte du pouvoir). De plus, nous pouvons aussi supposer que ces diverses associations ne sont pas toujours en accord avec le fonctionnement pratique de la Ligue des communistes. Bref, ce phénomène de division est compréhensible seulement en prenant en compte un facteur autre que l’essence même de ces assemblées. En effet, dans la pratique, une telle division a des conséquences dramatiques sur l’objectif révolutionnaire car comme le dit Marx : « elle détruit la centralisation et la force du Parti ». Effectivement, pour réaliser une révolution, il faut pouvoir assembler le prolétariat autour d’un même but et il faut aussi pouvoir diriger ce prolétariat dans des actions à objectif révolutionnaire. En effet, il y a toujours des actions stratégiques à réaliser et ces actions sont impossibles sans une certaine rigueur et organisation. Or les différents partis ouvriers rassemblent nécessairement un certain nombre de prolétaires. Donc ces partis étant désunis, les prolétaires sont alors désunis et désorganisés. Pire encore, ceci crée de la concurrence entre les prolétaires qui valorisent plus leur propre parti plutôt que leur véritable intérêt. Il suffit de regarder les anciens combats entre Staliniens et Trotskistes en France et dans toute l’Europe pour en être convaincu. De telles actions empêchent nécessairement une union des prolétaires et donc la révolution en règle générale. Marx lui-même se place du point de vue de la Ligue des communistes en affirmant que ce sont les divers partis ouvriers qui font perdre de la force et du pouvoir de centralisation à la Ligue. Ce qui est vrai dans la mesure où les diverses partis entraînent avec eux les prolétaires dans leur désunions. Ces prolétaires ne répondent alors plus aux ordres du comité central du Parti communiste et ils empêchent alors le Parti d’organiser une véritable révolution. Les prolétaires ne réalisent plus d’actes en vue de cet objectif. La Ligue des communistes perd aussi de sa force puisqu’elle perd de son influence sur les prolétaires et sur leur hypothétique union. Mais ce point de vue peut aussi être placé par rapport aux divers partis ouvriers. Marx a alors choisi la Ligue des communistes comme étant la plus légitime dans la mesure où elle la plus organisée dans chaque pays et même en Europe. Les autres partis ouvriers sont alors contre-productifs pour un objectif qui est pourtant partagé par tous ces partis.
Le deuxième type de partis ouvriers, que nous pourrions appeler les partis populistes, regroupe ceux qui ont soit des fins autres, soit des fins totalement opposées à la Ligue des communistes. Nous pouvons alors classer dans cette catégorique les diverses parties nationalistes mais aussi les partis qui visent un intérêt particulier, comme de nos jours les partis écologiques. Ces types de partis sont alors aussi particulièrement nuisibles au Parti communiste et ceci pour les mêmes raisons que ceux des autres types, mais dans une plus grande mesure. En effet, ils sont encore plus dangereux pour le Parti communiste car ils ont tous une dimension populiste, à la différence des partis démocrates. Le populisme est un type de discours qui critique les élites sociales dans l’objectif d’acquérir un soutient électoral et non dans un souci d’éliminer toutes sortes d’élites. De la même manière que les autres partis communistes, les partis populistes fractionnent le prolétariat et empêchent ainsi la Ligue des communistes d’organiser une révolution. En effet, le prolétariat se trouve dans des partis qui ne visent pas ses intérêts propres mais l’intérêt d’une certaine cause, sans solution économique et libératrice pour ce dernier. Il est alors impossible d’obtenir une classe universelle avec ce type de partis et ils sont donc à traiter de la même manière que les partis des petits bourgeois démocrates.
L’attitude du Parti communiste à leur égard est alors directement liée aux actions pratiques et à la condition de la vie politique du moment. En effet, Marx dit clairement qu’il pourrait les utiliser à ses propres fins. Il s’agit alors ici de les manipuler afin d’utiliser la popularité de ces partis au prés des prolétaires afin de profiter d’une certaine union révolutionnaire. Mais ceci tout en empêchant ces différents partis d’accomplir la fin qui leur est propre. Ceci est particulièrement vrai pour les partis populistes. Mais le fait qu’il existe, de fait, des partis politiques qui créent une désunion entre les prolétaires ne remet pas en question, pour Marx, l’élévation du prolétariat en classe universelle et la possibilité d’une révolution. En effet tout comme la relation avec les partis de la classe moyenne, le Parti communiste compte faire front commun contre les ennemis qu’ils partagent et de s’opposer à eux en tout ce qui pourrait lui permettre d’accomplir ses objectifs. Tout comme Lénine pour la révolution de 1917 en Russie, le Parti communiste devra doubler ses opposants dans la dernière ligne droite afin de prendre le pouvoir. Rappelons aussi que Lenine, dans l’après révolution, a éliminé physiquement tous ces anciens alliés. Nous allons voir ce point prochainement mais maintenant nous allons développer la stratégie que Marx a envisagée pour entretenir des relations avec tous ces partis qui lui sont opposés.
« Quand il s’agit de livrer combat à un adversaire commun, nul besoin d’une union particulière. Dés qu’il faut combattre directement un tel ennemi, les intérêts des deux partis, pour le moment, coïncidents, et, comme par le passé, cette alliance calculée seulement pour une courte durée se nouera spontanément. »
La Fin de la Ligue des Communiste Paris, Gallimard, La Pléiade, 1994 p.550
Nous pourrions résumer la relation entre le Parti communiste et les autres partis qui sont opposés au capitalisme par la phrase populaire : « Les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». En effet, selon Marx, un accord entre tous les partis se réalise de fait. Ici Marx parle juste de la relation entre le Parti communiste et le parti démocrate, mais ce qui est vrai pour les petits bourgeois est aussi pour les autres partis ouvriers dans la mesure où Marx a affirmé précédemment que : « Le parti ouvrier pourrait bien, à l’occasion, utiliser d’autres partis et fractions de partis à ses propres fins ». Tous les partis opposés au capitalisme ont tous le même premier objectif, renverser les grands bourgeois pour prendre le pouvoir, mais aucun n’est capable d’y arriver seul. Leurs visions ne varient seulement qu’après la chute du capitalisme. Comme nous l’avons vu, les partis des petits bourgeois ont besoin d’évincer la grande bourgeoisie pour conserver leur statut social. Les autres partis ouvriers, eux, ont soit le même intérêt que le Parti communiste, soit ils défendent des intérêts particuliers qui vont à l’encontre des intérêts de la grande bourgeoisie. En effet, dans le cas contraire pourquoi créer un parti différent du parti capitaliste ? Nous pouvons cependant supposer qu’un tel parti populiste est avantageux aux yeux de la grande bourgeoisie dans la mesure où il diminue l’influence du Parti communiste et crée de la concurrence et de la désunion dans le prolétariat. Cependant dans une telle perspective, le parti sera tout de même obligé de suive le mouvement car ceci représente une belle possibilité de prise de pouvoir. Donc dans la lutte, leur union est naturelle car chaque parti voit dans la révolution le progrès de son propre intérêt et une opportunité de passer au stade supérieur. C’est l’intérêt commun de chaque parti qui soude les partis présumés opposés. Marx dit qu’une telle alliance s’est déjà réalisée dans le passé. Il fait allusion aux nombreuses révolutions de l’année 1848 qui traversèrent toute l’Europe. Les bourgeois, petits bourgeois et prolétaires étaient alors unis dans les diverses révolutions contre un ennemi commun : les Aristocrates. Marx a fait d’ailleurs une multitude de commentaires sur ces actions historiques dans Révolution Et Contre-Révolution1. Il montre aussi comment la bourgeoisie s’est montré contre-révolutionnaire, c'est-à-dire qu’elle a écrasée dans le sang les petits bourgeois et les prolétaires, dès qu’elle a évincée les Aristocrates et qu’elle a eu le pouvoir. Elle a alors doublé les autres partis qui étaient anciennement ses alliées pour réaliser son propre intérêt. Nous allons donc voir maintenant comme doit agir le Parti communiste dans la pratique pour contrecarrer les plans des autres partis politiques.
« Avant toute chose, les travailleurs doivent contrecarrer au maximum pendant le conflit et après le conflit et immédiatement après le combat, toute tentative d’apaisement de la part des bourgeois et forcer les démocrates à mettre en pratique leurs phases terroristes du moment. Ils doivent par leur effort empêcher que l’effervescence révolutionnaire du moment ne soit de nouveau étouffée aussitôt après la victoire. Bien au contraire, il leur faut la maintenir le plus longtemps possible. Bien loin de s’opposer aux prétendus excès, aux exemples de vengeance populaire contre des individus exécrés ou des édifices publics auxquels ne se rattachent que des souvenirs odieux, il convient non seulement de tolérer ces exemples, mais d’en assumer soi-même la direction. »
La Fin de la Ligue des Communistes, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1994 p.553
Comme l’affirme ici Marx, pour contrecarrer les plans du parti de la classe moyenne, il faut empêcher l’apaisement de la population. En effet, lors d’une révolution, il y a naturellement des combats de rue, la destruction des moyens de production et des tribunaux révolutionnaires, c'est-à-dire la mise à mort d’un certain nombre de personnes jugées par les révolutionnaires comme étant responsables de l’ancien régime. En effet, les raisons qui poussent les prolétaires à la révolution sont concentrées dans les aliénations qu’ils subissent, alors pour s’émanciper ils doivent supprimer leurs anciens bourreaux physiquement ainsi que leurs instruments. Dans le cas contraire ces derniers pourraient toujours revenir au pouvoir dans une contre-révolution pour remettre en place l’ancien régime, comme cela c’est déjà produit dans l’histoire. Tant qu’ils seront vivants, le risque d’une contre-révolution existera. Les révolutionnaires s’attaqueront ensuite aux moyens de production soit en les détruisant soit en s’en emparant car, comme nous l’avons vu, l’aliénation passe aussi par la nature même des moyens de production, notamment par la division du travail. Dans la révolution les prolétaires détruisent la cause (les bourgeois) et l’objet (les moyens de production) de leur aliénation. Or, comme nous l’avons vu, les classes moyennes ne sont rien d’autre que des petits bourgeois. Autrement dit, elles exploitent aussi, mais en moins grande quantité, les prolétaires. De plus elles possèdent aussi des moyens de production. Bref, les classes moyennes sont les prochaines sur la liste logique des victimes de la révolution. Il faut donc empêcher d’apaiser les prolétaires car c’est dans la durée même de la révolution que les communismes prennent le pouvoir devant les petits bourgeois. Il faut donc « forcer les démocrates à mettre en pratique leurs phrases terroristes ». Nous devons noter que le terme terroriste, qui a une forte connotation aujourd’hui, n’est rien d’autre que la désignation d’un groupe d’hommes armés qui ne se battent pas pour un état, en d’autre terme, c’est une armée non-officielle. Ainsi les révolutionnaires sont des terroristes car ils ne se battent non pas pour l’Etat, mais contre l’Etat et pour la prise de pouvoir de l’Etat. La mise en pratique de la phrase terroriste des démocrates n’est alors rien d’autre que la révolution elle-même. Donc pour laisser la population dans une phrase terroriste, il faut surtout ne pas désarmer le prolétariat. En effet si le prolétariat est désarmé, il n’a alors plus les moyens de se battre et donc la révolution est terminée.
Le mot effervescence révolutionnaire désigne ici le moment historique où la population est portée à ébullition et commence à détruire l’ancien mode de société. Ceci désigne la fin du développement du prolétariat en classe universelle et révolutionnaire. Il faut alors maintenir ce bouillonnement au maximum pour détruire la classe bourgeoise, puis petite bourgeoise, mais aussi car de la même manière que ce phénomène physique, l’effervescence du prolétariat ne se réalise qu’après un long travail de développement et d’échauffement de ce dernier. En effet, comme nous l’avons vu, il faut d’abord l’unir puis l’organiser. De plus pendant une révolution, il y a de lourdes pertes humaines ce qui décourage naturellement le prolétariat de faire des révolutions périodiquement. Si le prolétariat s’arrête au cours de la révolution, c'est-à-dire avant l’élimination totale de la petite et grande bourgeoisie, alors cela signifie que ce dernier n’est plus capable de lutter contre l’intérêt d’autres classes car l’effervescence est terminée. La bourgeoisie peut alors de nouveau se développer en organisant une contre-révolution, c'est-à-dire mettre en œuvre des moyens théoriques (livres, journaux, tracts…) ou pratiques (forces militaires) pour annuler les effets d’une révolution et ceci aussitôt ou même bien longtemps après. Ou bien, la classe moyenne peut profiter de cette demi-effervescence révolutionnaire du prolétariat pour acquérir le pouvoir. Les prolétaires ayant stoppés leur phase révolutionnaire, c'est-à-dire s’étant désarmés, n’ont plus les moyens de lutter contre la contre-révolution. Il faut alors dans le cas d’une telle perspective remobiliser les prolétariats. Mobilisation qui peut certes être moins longue que pour la première action révolutionnaire mais la conscience de la mort qui naît au fur et à mesure des combats révolutionnaires entraine des mobilisations de moins en moins puissantes. C’est pourquoi il est important de maintenir cette effervescence le plus longtemps possible.
Pour maintenir cette effervescence révolutionnaire, il faut alors que le Parti communiste organise lui-même les « vengeances populaires » et la destruction des « édifices publiques ». Mais ces actes sont tous de même qualifiés par Marx excès. Effectivement se sont des excès de violence dans la mesure où d’abord les vengeances populaires, à la différence des tribunaux révolutionnaires, ne sont pas basées sur des faits avérés de participation à l’ancien régime mais plutôt sur des conflits d’ordre privé. Ensuite ce sont des excès car ce type d’actes n’est pas nécessaire pour l’accomplissement d’une révolution. Cependant ces faits sont inévitables car il y a toujours certaines personnes qui profiteront des événements pour accomplir leurs intérêts ou leurs pulsions. Mais les classes moyennes devront naturellement se baser sur ces exemples d’excès pour désarmer le prolétariat. En effet ces excès de violence sont, dans une certaine mesure, la preuve que certaines personnes utilisent la révolution pour accomplir des actes répréhensibles et non révolutionnaires. Il faut alors désarmer la population rapidement pour empêcher la continuation de ces méfaits. Sur ce type de discours peut se greffer la contre-révolution qui convaincra une certaine partie des prolétaires de se désarmer, tandis que l’autre partie sera alors qualifiée de « casseurs » et « d’anarchistes » et pourra ainsi être écrasée militairement sans soutient massif. Les petites classes moyennes pourront alors prendre le pouvoir en stoppant la révolution et ainsi maintenir leur statut social. Il ne faut jamais perdre à l’idée que tout de suite après la révolution plusieurs partis politiques espèrent profiter de ces actions historiques. Le Parti communiste doit organiser des événements tels que les « vengeances populaires » et autres dégradations d’édifices pour éviter la désunion du prolétariat qui stopperait l’effervescence. Il doit unir l’ensemble des prolétaires autour de lui car il doit englober l’ensemble des actions révolutionnaires. Son objectif est de ne jamais stopper la révolution. Cette révolution permanente n’est alors rien d’autre que ce qu’on appelle la dictature du prolétariat.
Le Parti communiste a pour rôle de réunir un maximum de prolétaires autour de lui afin de pouvoir organiser une révolution. Mais il est un fait qu’il existe plusieurs partis politiques qui non seulement cherchent aussi à rallier le prolétariat à leur cause, car ils en ont besoin, mais aussi qui ne rêvent que de profiter de la révolution pour acquérir le pouvoir. Et ceci sans parler de l’ancien parti capitaliste qui menace toujours de reprendre le pouvoir dans une contre-révolution. La dictature du prolétariat est alors, selon Marx, la solution qui est censée répondre à ce risque de contre révolution en instaurant une révolution permanente. Mais cette dictature est aussi la partie la plus controversée et la plus ambiguë du Marxisme. Nous allons alors maintenant l’analyser.
1 Révolution et Contre-révolution en Europe, Paris, Gallimard La Pléiade, 1994