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Titre du blog : La pratique du communisme selon marx
Auteur : lapratiqueducommunisme
Date de création : 17-11-2010
 
posté le 17-11-2010 à 10:56:57

Introduction premiére partie

Tout à chacun assimile naturellement et légitiment le nom de Marx à celui de communisme. En effet, cet auteur a influencé considérablement le monde entier à partir de 1917 jusqu'à encore aujourd'hui sur des continents aussi grands que l'Amérique du sud ou des pays aussi puissants que la Chine. Il est, aujourd'hui encore, reconnu comme le créateur de la théorie du communisme. Il est vrai que Marx est l'auteur qui a le plus contribué à la doctrine communiste, même si ce n'est pas lui qui l'a inventée à proprement dit. Il lui a donné sa consistance, l'a débarrassée de toutes dimensions utopistes et a constitué, ce que certains appelleraient, sa théorie. Cependant, Marx n'a jamais écrit une œuvre entière sur le communisme. Même dans le Manifeste du Parti Communiste1, la majeure partie de l'ouvrage est consacrée à la critique du capitalisme et nous pouvons même affirmer que toutes les œuvres publiées du vivant de l'auteur sont consacrées à la critique du capitalisme. Ainsi Marx est plus l'auteur de la critique du capitalisme que le créateur du communisme du dernier siècle. Il n'a jamais élaboré un système conceptuel pour tenter d'expliquer le communisme. Cependant nous ne pouvons pas nier que le nom de Marx et le terme de communisme sont étroitement liés. Marx définit le communisme, dans L'idéologie Allemande, comme étant « le mouvement réel qui abolie l'état actuel des choses »2. Il envisage donc le communisme exclusivement dans une pratique politique. La pratique politique regroupe toutes les actions concrètes qui visent la gouvernance d'un groupe d'individus ou d'une société. Le communisme est donc nécessairement une action pratique puisqu'il est un mouvement qui vise la transformation de l'état actuel, c'est-à-dire le changement d'un état A vers un état B. C'est ce processus de changement que nous appelons communisme. De plus c'est une action nécessairement politique dans la mesure où il vise la transformation de la société toute entière. Avant de voir ce processus plus en détail nous allons montrer que le marxisme n'est pas la théorie du communisme contrairement à ce qu'affirme l'opinion générale. Ceci repose essentiellement dans la volonté de Marx et surtout dans la place particulière de la pratique dans sa philosophie.


Marx envisage la relation entre pratique et théorie de façon dialectique, c'est-à-dire qu’il envisage un constant entremêlement entre l’une et l’autre où la pratique agit comme le dépassement de la théorie et où dans la théorie, la pratique est toujours et déjà présente. C'est pourquoi, nous devons analyser les notes de jeunesse de Marx, regroupées par Engels sous le titre de Thèses sur Feuerbach3. En effet, dans ces onze notes fondamentales, comme nous allons le voir, nous pouvons déjà dénombrer le terme « pratique » quatorze fois, dont quatre fois surligné par Marx. De plus, tout au long des œuvres de Marx qui suivront ces notes, le mot pratique n’apparaît quasiment jamais mais d’autres termes en font directement référence comme celui de « lutte de classe ». Nous pourrions donc être amenés à penser, avant l’analyse des Thèses de Feuerbach, que Marx délaisse totalement la pratique alors que bien au contraire, après ces thèses nous allons voir qu’aucune œuvre de Marx ne peut pas ne pas parler d'une pratique révolutionnaire. Comme nous allons le voir, ces notes marquent le passage dans l’évolution intellectuelle de Marx, d’un idéalisme illusionniste à un communisme dit scientifique. Ainsi, dès la thèse deux nous pouvons lire :


« La question de savoir s’il faut accorder à la pensée humaine une vérité objective n’est pas une question de théorie, mais une question de pratique. C’est dans la pratique que l’homme doit prouver la vérité, la réalité effective et la puissance, le caractère terrestre de sa pensée. La dispute concernant la réalité ou la non-réalité effective de la pensée (qui est isolée de la pratique) est une question purement scolastique. »

Les Thèses sur Feuerbach, Paris, PUF, Labica Georges, 1987, p.20


Marx fait ici directement référence aux acquis mis en lumière par Kant dans la critique de la raison pure4. Kant y présente alors la réfutation de la preuve de l’existence de Dieu par l’idée de perfection. Selon Descartes, dans les Méditations Métaphysiques5, si nous entendons par Dieu un être qui est parfait, alors il est impossible qu’il lui manque un attribue car sinon il ne serait pas parfait et par conséquent Dieu existe. Kant démontre alors dans ce contexte que la preuve de l’existence des choses ne peut pas se faire par la logique mais seulement par les sens. Ainsi : « les cent Thalers représentés et les cents thalers réels ne peuvent être confondus : J’ai les uns « dans ma tête » et les autres « dans ma mains » »6. Il y a une différence réelle entre ce que l’on peut concevoir et ce que l’on touche. Les limites de ces deux dimensions ne sont pas les mêmes et elles ne peuvent pas être confondues. Ainsi, ce n’est pas parce que j’imagine que j’ai cent thalers qu’ils existent alors que si je les ai dans la main, autrement dit que je les touche, ou même que je les vois devant moi, alors il ne peut y avoir de doute sur l’existence de cette argent. Les sens sont les critères exclusifs de l’existence d’un objet. Pour avoir la preuve qu’un objet appartient à l’ensemble de la matière qui nous entoure, c'est-à-dire s'il existe ou non, il faut nécessairement passer par la médiation de nos sens. Il n’existe pas d’autre moyen. De même, pour savoir si une pensée est une vérité objective, c'est-à-dire pour savoir s’il existe une adéquation entre la réalité et une pensée, nous devons passer nécessairement par la médiation d’une expérience. Une expérience est une épreuve qui permet de démontrer, par la pratique, une théorie. Ainsi seule la pratique donne le critère de vérité à une théorie. Toute théorie devient vérité si et seulement si elle passe l’épreuve de la pratique car c’est à partir de se qui passe par la médiation des sens de l’homme que l’on peut prouver l’existence d’une théorie vraie. Cette thèse possède alors un sens profond pour Marx, par cette deuxième note des « thèses sur Feuerbach », il annonce que toutes les pensées qu’il développera seront réalisables dans la pratique car c’est seulement en ce sens qu’elles peuvent avoir un sens pour le réel. Il vise à éliminer dans ses textes toutes les séparations qui existent entre un sujet et un objet. Le sujet étant attaché à l’idée et l’objet à la matière, pour Marx l’objet ne peut pas exister sans sujet et réciproquement. Marx affirme s’affirme alors contre Kant, où la séparation entre sujet et objet est une condition de la connaissance, contre Hegel, où la séparation est interne à l’idée même, et enfin contre Feuerbach, où cette séparation est un principe ontologique. L’idée étant vérifiable que si elle entretient un lien avec la matière, alors une idée ne peut être concevable sans la matière car s’il n’y a aucune matière nous l’appellerons croyance. C’est dans ce sens que nous pouvons affirmer que Marx est un matérialiste. Marx ne peut donc concevoir une théorie qui n’est pas réalisable dans la pratique. Sa prétendue théorie est alors imprégnée nécessairement de pratique et c’est cette pratique qui fait l’intérêt philosophique de la vision politique de Marx. La pratique de la philosophie politique de Marx est alors la preuve de la vérité des théories marxistes. Aussi, nous pouvons lire, à travers la thèse numéro huit :


« Toute vie sociale est essentiellement pratique. Tous les mystères qui orientent la théorie vers le mysticisme trouvent leurs solutions rationnelles dans la pratique humaine et dans la compréhension de cette pratique ».

Les Thèses sur Feuerbach, Paris, PUF, Labica Georges, 1987,p.22


Marx nous apprend alors ici trois choses. D’abord, qu’il existe un caractère social dans la pratique. En effet, Marx emploie, dans la note originale en allemand, le terme « wesentlich », ce qui signifie, traduit mot pour mot, l’essence. Ainsi, non seulement toute vie sociale est en grande majorité pratique mais la pratique fait aussi partie de l’essence même de la vie sociale. Le social définit l’ensemble des rapports qui naît entre les divers individus, groupes ou classes sociales d’une société. La vie sociale est alors ce qui compose la vie des membres d’une société, c'est-à-dire entre autre le travail (et ce qui en découle comme la lutte des classes, la grève, les classes sociales, etc.), le commerce et la culture en règle générale (manière de vivre, de penser, de parler, de se reproduire, etc.). Ces faits, qui composent le social, ont une essence pratique car, comme l’affirme Hondt dans un article du journal la pensée : « Les choses sensibles se présentent à nous comme un objet de travail ou de consommation, en puissance et dans comme un moment de praxis »7. En effet, comme nous venons de le démontrer précédemment, nous pouvons entrer en relation avec les objets extérieurs et avoir conscience de leur existence seulement grâce nos sens, c'est-à-dire par le biais de la pratique. Par conséquent toute relation entre deux choses (vivantes ou non) ne peut se faire que par la médiation d’un rapport pratique. Or, comme nous allons le voir dans la première partie de notre ouvrage, le marxisme prend pour base un fait tout-à-fait empirique : l’homme possède une nature capitaliste, c'est-à-dire que c’est un être intéressé. Par conséquent, tout ce qui le pousse à entrer en contact avec les objets extérieurs est avant tout pour tirer un profit de cet objet, ceci sous le régime du travail (c'est-à-dire en transformant l’objet selon son désir, mais nous allons voir ces définitions plus tard) ou bien sous le régime de consommation (c'est-à-dire en tirant profit sans transformation). Lorsque Marx affirme que « la vie sociale est essentiellement pratique » il montre qu’il fera de ce qu’on appelle « la théorie marxiste », une pratique théorique (nous allons analyser ce concept ultérieurement) et ceci grâce aux caractères sociaux de ces écrits.

Ensuite, Marx affirme dans cette thèse qu’il y a une unité dans la relation entre théorie et pratique. Il existe un véritable aller-retour dialectique entre théorie et pratique qui passe majoritairement par la médiation d’un processus de connaissance. En d’autres termes, tous les points obscurs d’une théorie trouvent leur élucidation dans la pratique et inversement toute pratique possède une explication théorique. La pratique regroupe l’ensemble des phénomènes et la théorie définit l’ensemble des explications de ces phénomènes. Premièrement, la pratique ne peut pas faire l’impasse sur un point obscur car sinon les phénomènes comme nous les connaissons n’existent pas. Si nous décomposons un phénomène (naturel ou non) en plusieurs étapes, mais que nous supprimons une étape alors soit les conséquences de ce phénomène seront changées et nous aurons un nouveau phénomène, soit nous avons supprimé une étape non-essentielles mais même dans ce cas, ce phénomène sera nécessairement différent (car il y aura quelque chose en moins que dans le phénomène d'origine). Cette expérience de pensée montre que toute pratique ne peut pas faire l’économie de point obscur car sinon elle se transforme et nous obtenons un autre phénomène. D'un autre côté, toute théorie peut faire l’économie de points qui restent obscurs et ceci sans pour autant se transformer. Aussi, la grande majorité des théories possèdent des points obscurs. Cependant, ces théories trouveront la solution de ces points obscurs seulement dans la pratique car, comme nous venons de le voir, la pratique ne peut pas faire l’économie d’étape sans nécessairement se retrouver transformée. Dans la pratique, il n’y a pas de point obscur, il n'y a seulement que des points non explicables théoriquement. Deuxièmement, toute pratique possède nécessairement une théorie, dans une démarche phénoménologique, c'est-à-dire dans la recherche d’explication des phénomènes qui entourent les hommes. Lorsqu’un nouveau phénomène apparaît, les hommes lui cherchent une explication. Nous pouvons affirmer que ceci fait partie d’une certaine nature humaine car de tout temps l’homme a créé des explications. Ces explications peuvent aussi bien être de nature spirituelle (de type religieux ou paranormal) mais aussi scientifique. Le terme théorie regroupe alors toutes les sortes d’explications de phénomènes. Cependant il faut noter que certaines théories sont plus réalistes et vérifiables que d’autres. De plus les théories spirituelles sont, en général, incapables d’effectuer l’aller-retour dialectique entre théorie et pratique, c'est-à-dire que bien que leur théorie vise à expliquer les phénomènes issus de la pratique, il semble impossible de reproduire les théories spirituelles dans une expérience.




Enfin, dans cette thèse, Marx nous apprend que la pratique est la nature même de la rationalité. En effet, la théorie est définie comme étant l’explication de la pratique. Pour se faire, la théorie s'appuie alors nécessairement sur la pratique. Or une théorie rationnelle est une théorie qui est cohérente par rapport à son objectif, à savoir expliquer la pratique. Par conséquent, puisque la pratique est le fondement de la théorie, alors elle est à la base de toute rationalité. L’objectif de cette affirmation de Marx n’est pas tellement de conclure sur ce qui a déjà été fait par beaucoup de philosophes et ceci bien avant lui. Au contraire, Marx vise à nous montrer, comme si ces notes agissaient en préambule à ces ouvrages à venir, que non seulement toutes les théories qu’il exposera seront liées à la pratique de part leur caractère dialectique du duo pratique-théorie, mais aussi à travers leur caractère social. Mais surtout, Marx nous affirme ici que ces théories seront rationnelles seulement si nous pouvons les appliquer dans la pratique. Cette huitième thèse est l’affirmation pure et dure qu’il existe, dans les œuvres de Marx, une pratique marxiste et qui plus est une pratique politique. Aussi cette idée ne peut être que renforcée par la onzième thèse qui est, de loin, la plus connue et la plus importante de toute :


« Les philosophes ont seulement interprété différemment le monde, ce qui importe, c’est de le transformer »

Les thèses sur Feuerbach, Paris, PUF, Labica Georges, 1987, p.23


Dans un premier temps, et avant toute explication, nous devons noter une difficulté de traduction. Dans la note originale (voir le même livre p.19), le terme Verändern désigne en français à la fois le terme changer et transformer. Bien que la majorité des auteurs le traduise par le terme changer, je préfère pour ma part le terme de transformer. Ainsi, Verändern est composé de la particule « Ver » qui exprime l’idée de faire quelque chose ou d’agir sur quelque chose : il fait donc appel à un travail. Le terme transformer est composé de la particule « trans » qui exprime le passage vers quelque chose. Autrement dit, un changement exercé par quelque chose. Dans la mesure où Andern signifie sans ambiguïté changer, Verändern est alors l’idée de changer. Or l’idée de changer est bien le fait d’effectuer un passage vers le changement, c'est-à-dire effectuer une transformation.

Dans un second temps, Marx reprend ici une critique classique. Cette dernière consiste à dire que la philosophie se positionne comme détachée du monde qu’elle vise à expliquer. Le philosophe se place alors dans une situation de contemplation. Autrement dit, il se met à une bonne distance du monde pour le regarder dans sa globalité. La philosophie se définit comme étant un domaine de culture constitué par un ensemble d’interrogations, de réflexions et de recherches à caractère rationnel qui ont pour objectif d’éclaircir le rapport de l’Homme au monde et à son propre savoir. Par conséquent, dans son essence même, la philosophie n’a qu’un rôle d’interprétation du rapport des hommes à leur environnement, car il ne s’agit jamais de changer quoi que ce soit, mais au contraire de dire comment les choses sont. Il s’agit toujours de rendre explicite ce qui est implicite dans le rapport des hommes à la nature. Les philosophes ne doivent pas être détachés de la pratique, mais au contraire il s’agit d’être au plus proche d’elle pour l’expliquer. Ceci dit, il existe plusieurs parties de la philosophie qui ne sont pas rattachées à une matière, comme par exemple la métaphysique ou l’herméneutique. Mais la philosophie se donne toujours pour rôle celui de l’interprétation du monde. Marx annonce dans cette thèse la mort de l’ancienne vision de la philosophie et c’est pourquoi, après cette citation Marx ne parlera plus de philosophie. La philosophie selon Marx ne sera plus en position supérieure par rapport au monde, mais au contraire en contact direct avec la matière et ceci grâce au lien qui unit pratique et théorie. Comme nous l’avons vu, la théorie et la pratique sont liées par ce qui tend à les séparer. Si la théorie n’a pas d’utilité sans pratique, la pratique n’a pas de sens et d’esprit sans théorie. Or l’ancienne philosophie était basée sur la séparation des deux domaines et non seulement elle ne traitait que de la théorie mais en plus elle ne s’appuyait, pour se faire, que sur des pratiques déjà réalisées. Dans la thèse onze des thèses sur Feuerbach, Marx ne fait que conclure les différentes thèses que nous avons vu, mais il affirme en plus ici ce qui va être le mot d’ordre de toute la vie de Marx. Il réalise une véritable révolution dans la philosophie en créant un changement radical de son essence et ainsi en créant un nouveau style de discours que nous appellerons la pratique théorique et que nous auront de cesse de mettre en lumière.

1 Manifeste du Parti Communiste, Paris GF Flammarion, 1998

2 L’Idéologie Allemande, FeuerBach, Paris Nathan, 2007, p.58

3 labica Georges, Karl Marx. Les Thèse sur Feuerbach, Paris, PUF, 1987

4 Kant, La Critique de la Raison Pure, Paris, GF Flammarion, 1996

5 Descartes, Les Méditations Métaphysiques, Paris, PUF, 2004

6 Les « thalers » sont le nom de la monnaie Allemande de l’époque de Kant.

7 Hondt, La disparition des choses dans le matérialisme de Marx, La pensée, 1981, N°219, p.59